Au cœur du Baztàn, le Moulin de l’Enfer

Au cœur du Baztàn, le Moulin de l’Enfer

Suggestions d’accompagnement sonore :

Chris Rea – The Road To Hell (WEA – 1989)
Classique de mon enfance, Chris Rea après avoir vu une apparition s’enfuit sur la route de l’Enfer. Quoi de mieux lorsqu’on longe le ruisseau de l’Enfer qui mène à son moulin.

J’ai parfois la vague impression de me sentir dans la peau d’un archéologue qui quadrille ses cartes en parcelles pour être sûr de bien fouiller chaque petit cm² et de ne rien louper. Observer chaque détail, chacune des montagnes, décortiquer le moindre chemin, suivre du doigt chaque petite route pour voir si elle ne peut pas mener à un trésor caché. Alors je place des repères, je note, j’annote, je regarde, j’étudie jusqu’à trouver, parfois ce sont des miettes, et quand j’ai un peu de chance, je tombe sur des pépites qui faute d’être en or, recèlent de milles histoires qui me comblent tout autant.

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On a donc laissé les sommets de Gorramendi et Gorramakil derrière nous, bien décidés à rentabiliser chaque petite minute de cette première journée de 2016. Tandis que les nuages chargés de pluie battaient en retraite face à un soleil pourtant timide et peu habitué à illuminer les pentes de la vallée du Baztàn, on est descendus de quelques mètres d’altitude pour retomber sur ce fameux plateau donc je ne sais s’il porte un nom mais dont je n’arrive toujours pas à comprendre l’histoire.

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Depuis tout petit et encore aujourd’hui il m’est souvent arrivé de venir casser une graine ici, et d’ensuite taper un petit roupillon à l’ombre pour échapper à la lourde chaleur estivale. Sur ce plateau il subsiste des marches sans maisons, des fondations de bâtiments sans raisons, les ruines d’un fort moribond. Il a dû se passer quelque chose ici, il y a dû avoir quelque chose ici. Mais cette vallée de Baztàn dont je suis éperdument amoureux est une vieille femme complexe qui cache ses souvenirs, ses histoires au cœur de ses forêts, dans les replis de ses montagnes.

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Pris d’une subite envie de prendre la route, on a enquillé sur un petit chemin forestier à l’ombre de Gorramendi, un chemin à peine carrossable dont on connaissait déjà la destination finale. Les plus fidèles d’entre vous, sauront sans doute que le village déserté d’Aritzakun est pour moi, une vieille arlésienne. Après avoir tenté de le découvrir à pieds, après s’être lamentablement retrouvés piégés, coincés, perdus sur le chemin de randonnée qui y mène, Aritzakun restait un endroit que je voulais voir, il y flottait comme un goût d’inachevé.

Alors on a suivi la piste en descente et après crevasses, nids-de-poule et devers, entre les branches dénudées j’ai commencé apercevoir les contours de son fronton.

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Enfin je voyais Aritzakun, je ne reviendrais pas sur son histoire si particulière qui en fait toute la magie du lieu, et que j’avais déjà expliqué dans les épisodes précédents. Étonnamment nous n’étions pas seuls, un caniche fou était accompagné des trois petits vieux devisant en espagnol, ou bien était-ce l’inverse, mes souvenirs sont confus. Mais autant le dire tout de suite, Aritzakun n’avait pas la saveur que j’avais imaginé.

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Comme une belle gourmandise qu’on a trop longtemps laissée de côté, ce petit hameau dont je m’étais fait toute une montagne m’a un peu déçu, je m’attendais à plus, à moins peut être, enfin je m’attendais à quelque chose de différent. J’en attendais peut-être trop. Sans doute le fait de ne pas l’avoir mérité après des heures de marches au milieu des fougères humides, de ne pas y parvenir les jambes lasses d’avoir buté contre des cailloux.

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J’ai cherché le pouls d’Aritzakun, j’ai essayé vainement de faire le silence autour de moi pour écouter son cœur battre, même un murmure qui aurait pu me raconter son histoire. J’ai écouté et je n’ai rien entendu, rien senti. Pourtant je n’ai pas dit mon dernier mot et je sais que je tenterais encore et encore de comprendre Aritzakun.

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On a fait demi-tour, remonté la pente, enquillé les virages de la veille dans l’autre sens, tandis que le vent bombait toujours autant le torse à nous narguer de ses rafales puissantes. On a repris la nationale pour mieux la quitter quelques kilomètres plus loin. Je n’avais qu’une vague idée d’où aller, une vague indication enfouie dans ma mémoire, mais c’est tout simplement à l’aide des panneaux que l’on a trouvé mon chemin. Rien de très exceptionnel à ça.

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Infernuko Errota, c’est ça que j’étais venu chercher en ce 1er janvier. Le Moulin de l’Enfer. Comme je le disais un peu plus haut la vallée de Baztàn et le Pays Basque en général sont un immense coffre à jouets, un grimoire poussiéreux qui ne demande qu’à être ouvert pour raconter mille histoires, mille légendes anciennes. En déchiffrer chaque page, chaque ligne est devenu une sorte de leitmotiv dont je ne peux désormais me passer. Le Baztàn est un monde bien à part, un terrain de jeu où sous chaque feuille se cache l’ombre mythologique d’un personnage imaginaire…ou non. Il ne faut pas croire qu’elles existent, il ne faut pas dire qu’elles n’existent pas, voilà ce qu’on dit dans cette vallée à propos des sorcières. Ce petit dicton peut très bien fonctionner pour chaque petite bestiole de la mythologique basque.

Les panneaux nous ont donc menés au pied du mur à gauche vers de l’Etxebertzeko Borda, une ancienne ferme massive aujourd’hui reconvertie en restaurant quand la douceur revient et que les beaux jours se font sentir. On a cassé la croûte tandis que la pluie revenue pour jouer une petite partition avait désormais cessé et nous sommes descendus le long des berges de la rivière Lateta Erreka.

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L’hiver était bien là, le froid en moins mais la flore avait ce côté dur, sec, brut qu’ont les vallées de la région. Le tapis de feuilles de couleur cuir, avait beau amener une petite touche de couleur, la palette de couleurs tirait vers les tons froids. Les racines puissantes des chênes sortant de terre donnait l’impression que chaque miette de la forêt était habitée, ensorcelée. On a longé la rivière, tout en grimpant les petits devers, suivant les marques blanches et vertes ou bien les panneaux disposés çà et là indiquant la bonne direction du Moulin de l’Enfer. La rivière que nous suivions au départ a changé de lit, changé de nom, elle est devenue Infernuko Erreka, cette même rivière que nous avions longée en sortant des grottes de Zugarramurdi.

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Et puis comme surgit de nulle part, les planches de bois du Moulin de l’Enfer ont fait leur apparition, comme un mirage en plein désert, comme un mirage en pleine forêt. Vous le sentez arriver le petit point historique ? Pour comprendre pourquoi, ici, là où le Baztàn et la Bidassoa s’embrassent tendrement, au milieu de forêts enchantées, se trouve un moulin, il faut remonter à l’époque des Guerres Carlistes. Je fais l’impasse sur cette période dense de l’histoire espagnole dont je n’ai toujours pas compris exactement et précisément les tenants et les aboutissants. Mais à l’époque, on était obligés de moudre la farine en cachette, loin des batailles, loin des sabotages, loin des pillages. On alimentait les troupes de la bataille d’Atxuria et autres.

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Sous Franco, même histoire, pendant ces années sombres de dictature, le moulin tournait à plein régime toute la nuit. Les paysans venus de toute la vallée s’y rendaient, les mules alourdies de  sacs de grains de maïs, et se dépêchaient de rentrer avant le lever du jour pour éviter de tomber sur les gardes franquistes. Pendant la guerre, lorsque l’activité des moulins était contrôlée par L’État, la position cachée du moulin était une aubaine pour le marché noir et la contrebande. On ignore encore de quand date ce moulin aux allures de pont construit à cheval sur la commune du Baztàn et celle d’Etxalar. On parle du 17e siècle, parfois du 16e.

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Mais un lieu ne serait pas un lieu au Pays Basque si il n’y avait pas derrière ces pierres et ces planches de bois, une légende, une histoire de laminak, ces petits êtres déjà évoqués à Xorroxin ou Harpea. On raconte que ces petits êtres savaient eux aussi, profiter de la situation, venant à leur tour faire moudre leurs grains de maïs pour le transformer en farine.

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On est restés plusieurs minutes assis à contempler la forêt sous le murmure de l’eau s’abattant sur la roue du moulin, observant le peu de lumière traversant les fenêtres de l’intérieur récemment rénové. La pluie a recommencé à faire son apparition alors on a gentiment levé le camp, on a rebroussé chemin doucement mais sûrement, pour de nouveau affronter la pente finale mais abrupte le long de la borda, regrettant qu’elle ne soit pas ouverte pour se réchauffer avec un bon chocolat des familles.

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On a repris la route, laissé le Baztàn derrière nous. Je pouvais cocher une case, pointer un nouveau un repère sur ma carte imaginaire du Pays Basque, j’avais vu ce fameux Infernuko Errota, j’avais senti le cœur battre de ce moulin de l’Enfer, mais j’avais encore tant à découvrir ici dans le Baztàn. Après 24h de no man’s land, on a retrouvé la civilisation, fatigués, rincés mais bien, heureux de s’être perdus, heureux de s’être coupés du monde un petit temps seulement. La mélodie des SMS de Bonne Année est venue nous rappeler que nous étions bel et bien en 2016.

“I said ‘mama I come to the valley of the rich
Myself to sell’
She said ‘son this is the road to hell'”

PS : Certaines photos, trois pour être précis ont étés prises à l’argentique avec un Minolta SRT 101 et une pellicule de Kodak Portra 400

7 Commentaires
  • argone
    Posted at 12:20h, 16 février Répondre

    Merci pour cette jolie promenade ! Je ne connais pas du tout ce coin, ça a l’air sauvage et très beau …. je kiffe trop le petit cheval ! 🙂

    • retourdumonde
      Posted at 11:04h, 17 février Répondre

      Merci ! Oui cette vallée enchanteresse reste très sauvage, et il n’est pas rare qu’on y croise des pottoks en liberté, bon il est plus rare qu’ils aient les yeux bleus. 🙂

  • mzelle fraise
    Posted at 19:40h, 16 février Répondre

    Non mais ce poney !!!! (oui, il y aurait tant d’autres choses à dire sur votre article, mais je les dis à chaque fois ;))
    mzelle fraise Articles récents..Bassin d’ArcachonMy Profile

    • retourdumonde
      Posted at 11:03h, 17 février Répondre

      Oui les yeux bleus de ce petit Pottok, car oui c’est bien un pottok et non un poney, cheval séculaire et emblématique du Pays Basque, ont vraiment un charme ensorceleur. N’hésite pas à en dire plus hein 😉

  • Jade
    Posted at 08:37h, 20 mars Répondre

    Milesker ! Nous vivons au Pays Basque depuis 7 ans et sommes toujours à la recherche de nouvelles pépites. Nous avons été enchantés par cet endroit ! Sublime. J’attends avec impatience que vous nous fassiez découvrir d’autres petits coins comme celui-ci

    • retourdumonde
      Posted at 15:07h, 20 mars Répondre

      Milesker zuri! Vous avez dû le voir depuis le temps, le Pays Basque recèle de petite perles cachées ci et là. Je vais bien sûr continuer mais n’hésitez pas si vous avez des coins à vous, je suis toujours de découverte !

  • Pauline
    Posted at 16:59h, 12 novembre Répondre

    Et voilà que j’ai envie d’aller me perdre dans les forêts et les montagnes du Pays Basque moi aussi … Merci pour cette belle balade !

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