Un réveillon en demi-tour – Partie 3

Un réveillon en demi-tour – Partie 3

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Partie 3

Partie 3

01 janvier 2021

Suggestion d’accompagnement sonore :

Otis Redding & Carla Thomas – New Year’s Resolution
(Stax – 1967)

Une histoire de seconde chance, de regrets, d’excuses et de promesses sur fond de nouvelle année, le tout chanté par le combo mythique du label Stax. 

Et voilà, on y était. Une année de plus, un réveillon de passé, un changement indicible, purement factuel. Pour l’instant rien n’avait changé, rien n’avait été bouleversé, si ce n’est la date sur nos téléphones.

Nous nous étions lourdement endormis en 2020, ne prenant même plus le temps d’en égrainer les dernières secondes, calés sur un autre rythme qu’est celui du vadrouilleur, où les minutes, les heures, les jours ne sont plus les mêmes, où les repères sont bousculés et où le réveil se fait souvent au même rythme que celui de la nature qui sort de son lit.

Si mes silences préférés sont ceux de cette neige ouatée qui tombe sur un sol moelleux, je pourrais aussi parler de celui de la brume qui vole et qui flotte. La brume qui adoucit, estompe, efface, masque les environs, ne révélant le paysage qu’aux contemplatifs patients qui attendront, comme au théâtre, que le rideau se lève.

A l’intérieur de la voiture, le thermomètre semblait peiner légèrement à se stabiliser sur une température de zéro degré. Autant dire que la nuit a définitivement été bien plus fraîche que ça et pourtant c’est d’un sommeil des sages, sans avoir frissonné, ni grelotté, que nous avons rajouté une année au tableau.

Dit comme ça, ça peut paraître un tantinet hautain, mais depuis toutes ces années nous avons l’habitude des bivouacs. C’est une mécanique bien huilée, fluide qui matin ou soir se met en place. Ca c’est fait comme ça, automatiquement, chacun à sa tâche, à ses affaires.

Arradoi
(660 m)

Vous l’aurez compris, depuis les hauteurs de notre spot de bivouac, nous ne pouvions alors discerner la vallée que lorsque les limbes de brumes s’échappent pour rejoindre d’autres monts, d’autres montagnes. On croise quelques traileurs venus se dégourdir les jambes au premier jour de l’année. Même pas le temps de proposer de l’eau à ceux qui tentent, en vain, de s’hydrater à la fontaine que les voilà déjà repartis avec le même entrain.

Et puis soudain, quelqu’un a déchiré le papier japonais des brumes et alors, nous avons vu.

Nous avons vu la vallée se réveiller, les montagnes s’enneiger, les habitants s’étirer, les nuages s’éparpiller. Là-bas, les Aldudes, par là-bas Gorramendi. Tout autour de nous n’était plus que contraste. Un tableau de Caspar David Friedriech.

Des teintes sombres, dures, rageuses, se lovant dans les bras de nuages aux formes animales. Un paysage presque binaire fait de sombres et de clairs habitant les cieux dans une parfaite harmonie.

Nous, de notre côté, on commençait légèrement à se geler les miches, on a donc passé la seconde, fini de passer du mode nuit au mode jour et petit à petit, comme par défi d’overlandiste, nous sommes redescendus par la même piste ravinée qu’à l’aller.

Les options devant nous, commençaient sérieusement à se faire de plus en plus restreintes. Toutes les routes, chemins possibles, désirés, voulus, n’étaient clairement pas praticables. La route vers la Soule, Ahüsky, Iraty, Arthaburru, toutes cette longue liste de choix pour qui sait se montrer gourmand d’explorer, tout ça était bon à rayer. Alors comme par ultime défi, j’ai décidé de tenter jusqu’à la croix d’Urdanarre. Si la montée d’un côté, la veille, par Harpea m’en avait empêché, rien ne me retenait d’essayer par l’autre versant. Après tout, la chance sourit aux audacieux.

On a traversé Saint-Jean-de-Pied-de-Port, tout était mort, fermé. Les gens avait encore la marque de l’oreiller sur la ganache, les cheveux qui poussent à l’intérieur des excès – ou non – de la veille.

Moi, j’ai enquillé, pour prendre une route à sens inverse, que, jamais, je ne prends dans ce sens-là. C’est comme chercher à se guider en marche arrière, les yeux fermés en conduisant à droite. Tous mes repères étaient inversés, retournés. Et puis, grâce à un mélange de technologie humaine et binaire, de vieux souvenirs enfouis et d’une trace gpx enregistrée, on finalement compris où il fallait grimpé.

Sur les bords de routes, un jour férié, lendemain de réveillon, on a commencé à voir quelques voitures garées, quelques badauds venus se dégourdir les guiboles, sortant les luges pas encore cassées par les multiples rebonds sur les vallons, les corps pas encore bleuis par les gadins à venir.

Les brumes s’étaient barrées, cherchant d’autres montagnes à enquiquiner, d’autres paysages à faire disparaitre, sans doute vers la côte. Ici, le soleil tapait pleine bourre sur la chaine des montagnes du Pays Basque. On retrouvait alors les tons chocolat, les petites taches de vert et surtout le blanc qui se mélangeait aux nuages et au ciel d’un bleu estival.

Je sais que je vais me répéter, encore et encore, que je l’ai déjà dit des centaines de fois, mais celui qui se plaint du temps au Pays Basque, passe à côté de l’essence même de ce pays. Tout bouge, tout le temps, la météo du Pays Basque c’est une allégorie de la vie, c’est profiter d’un instant de bonheur car on ne sait combien de temps il va durer, c’est apprécier chaque accalmie après chaque goutte, c’est comprendre que la pluie, elle verdit les montagnes, qu’il faut passer par des moments difficiles pour apprécier le bonheur.

Sous ce ciel bleu donc, il s’est passé une situation étrange. A y réfléchir, on ne sait pas trop si il neigeait ou si la neige sur les branches fondait, mais ça faisait un bruit entre la pluie aiguë et la neige toute moelleuse. Ca tombait sans tomber, ça mouillait sans mouiller. Ca venait s’écraser sur la voiture, la galerie dans une sorte de mélodie de free jazz norvégien. Les arbres tout maigres avaient perdu leur doudoune de neige et commençait à se balancer au rythme de cette « pleige » (mélange inventé de pluie de neige) qui venait mourir sur nos lunettes.

On a continué jusqu’en haut de la côte, pour poser nos roues sur le bas-côté et tout simplement profiter. On a laissé passer un bonhomme avec la même coupe de cheveux que Robert Charlebois, accompagné de son compagnon canin, prêt à déambuler d’un pas comme on le trouve chez les bergers de la région. De ce pas sûr, qui ne flanche pas, qui ne fait pas rouler les cailloux et n’effraie pas les bêtes en estive.

Comment dire sans se répéter, comment décrire sans utiliser les mêmes mots, les mêmes adjectifs. Devant nous s’ouvrait un paysage de carte postale que nous, les amoureux de l’hiver, ne pouvions rêver de plus joli. Des lignes de suie venaient s’enfoncer dans l’horizon appelant les voyageurs comme nous à continuer le chemin, continuer l’aventure quoiqu’il arrive. J’ai pris mes appareils photos, et je suis sorti pour m’approcher de ces pottoks apeurés qu’en ce premier janvier, il y ait autant de monde – tout est relatif – dans leur territoire. Préférant de loin, continuer à paitre comme on continue à taper dans le foie gras mi-cuit un soir de réveillon. A pas feutrés, lents, j’ai gagné du territoire, je me suis approché. Les pottoks sont semi-sauvages, ils s’habituent à l’homme, parfois un peu trop, devenant même un peu agressifs quand ils sentent l’odeur d’un paquet de chips ou le bruit d’une glacière qu’on ouvre.

Leurs poils d’hiver, roux, d’ambre, de cette belle couleur marron-cochon, blondissaient sous les rayons du soleil, les rendant encore plus beaux. Je voyais la silhouette de Cécile, au loin, prendre du temps pour elle en s’ouvrant face à la beauté des paysages, fermant les yeux, ouvrant ses poumons.

De mon côté, je ne savais plus trop où regarder, je mangeais le paysage, je le dévorais avec calme, lenteur. A cet instant, j’avais enfin trouvé ce putain de bouton pause. Le temps s’écoulait, les minutes et les secondes avec et je m’en foutais. J’étais bien. Ici la neige est rare, elle arrive, elle survint puis elle disparait aussi vite qu’une aurore boréale ou qu’une pensée fugace. Mais cette année, la neige avait décidé de s’installer, de magnifier les paysages, d’offrir du beau pour oublier le laid d’une année sombre. Elle apportait la lumière qui manquait au cœur des rêveurs.

On a laissé un père et son gamin faire les cons, glisser dans la neige, quelques photos. Eux aussi, sans doute des rêveurs, ravis d’oublier les turpitudes de la vie. Content de profiter d’un instant entre père et fils, comme parfois ils peuvent se faire rares.

Et puis on a décidé d’avancer dans les traces déjà ouvertes, de voir si, plus loin, une autre carte postale, un autre paysage, une autre beauté cachée ne nous attendait pas. On a laissé passer les auberges jacquaires, et on a grimpé, toujours sous le soleil.

La suite n’a aucune photo. Les traces noir charbon et bien distinctes ont, à leur tour, commencé à se faire plus blanches, plus épaisses, plus profondes, plus poudreuses. On pouvait voir où les gens aventureux avait fait demi-tour, mais comme un voyageur qui touche au but, j’ai continué, pour finalement ouvrir la voie dans l’épaisse neige fraiche, rassuré par les gros chaussons de Lily, capable de s’aventurer plus loin que les autres.

Mais à un moment, il a fallu abdiquer, renoncer, reculer. Nous n’aurons, en ces trois jours, touché aucun des buts énumérés. Pas d’Harpea, d’Ahüsky, pas d’Urdanarre ou d’Orisson. Rien, si ce n’est des demi-tours, des voies à demi tracées.

Faire une marche-arrière dans la poudreuse, en ne gardant que ces traces dans le rétroviseur et ça sur plusieurs kilomètres est une expérience en soi. Et puis notre ami marcheur, le Robert Charlebois au chien, revenait de son petit tour, grandissait à vue d’œil à l’horizon pour finalement nous rejoindre.

Et de l’œil avisé de celui qui regroupe un troupeau, il m’a guidé jusqu’à finalement faire demi-tour, avec bienveillance et gentillesse. Nous avons donc rebroussé chemin jusqu’au refuge de l’Orisson pour poser nos roues et casser la graine. La neige dégringolait des bavettes, fondait sous le soleil. Il faisait presque bon.

Manger en voiture, en van, en camping-car, c’est profiter d’un panorama en même temps que se déguste des sandwichs à la tomme de brebis et à la ventrêche. C’est passer des heures rivés sur un paysage qui se meut avec douceur, c’est décrypter une image et en observer les routes, les chemins possibles, les sommets, les monts et les vallées. Et de ça, il est difficile de s’en repaître. Encore plus lorsqu’un ami, alors qu’ayant trop chaud vous enlevez une couche, vous envoie un message pour vous dire que sur la côte, la grêle tombe, le vent forcit et il fait sombre.

Dire qu’on avait pas vraiment envie de rentrer serait un euphémisme, alors on a pris des chemins détournés, j’ai pris le temps de bifurquer à des endroits où je ne vais jamais. A passé Irissary et après je ne sais pas, des montagnes, des routes inconnues vers le mont Baigura. Un plateau, un soleil et au loin, en effet, sur l’horizon de l’océan, les nuages étaient sombres, d’un noir charbonneux et les raies de pluie se discernaient pleinement.

Et puis est arrivé ce moment, où vous ne pouvez plus reculer le temps à votre guise, alors on a filé tout droit, musique en tête, avec les cernes des mauvaises nuits qui rendent toutefois heureux. On est rentré dans le vortex noir et la lumière s’est éteinte, la pluie qui nous avait accompagnée à l’aller se rappelait de nouveau à nous. Comme si, durant ces trois jours, nous étions dans une bulle, un ailleurs, et qu’il fallait rentrer de nouveau dans la réalité d’une année à peine entamée.

La vidéo :

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