Un réveillon en demi-tour – Partie 1

Un réveillon en demi-tour – Partie 1

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Partie 1

Partie 1

30 décembre 2020

Suggestion d’accompagnement sonore :

Blossom Dearie – Tout Doucement
(Verve Records – 1979)

Lorsque la voix de velours satinée de Blossom Dearie, nous exhorte à prendre notre temps, à sourire, à profiter. Une ode à la lenteur bien avant la mode du “Slow Travel”.

Il était une fois, l’envie de succomber au plaisir des souvenirs retrouvés.
Enfermés entre nos quatre murs, respectant scrupuleusement un confinement à la lettre, on avait envie, besoin, de respirer de cette année en apnée. Besoin de s’échapper, de retrouver la joie des routes, des pistes, des pompes de rando boueuses, des pieds froids, de la fumée dégagée par nos bouches, des couvertures superposées. On en avait besoin, sans ça on aurait coulé.
Il était une fois, une voiture, un réveillon, des montagnes, des plaids et de la neige.

Alors qu’on avait passé un confinement et un été à mettre Lily totalement à poil pour retravailler son intérieur en profondeur, on avait, jusque là – tout du moins à deux – pas encore eu l’occasion de tester ce nouvel aménagement. Un seul test, cet été au retour des copains du Kinomad du Portugal, un bivouac improvisé dans une mer de nuages sur les hauteur de Gorramakil, sur les chutes de mousse de bultex, arrangées comme un Tetris pour faire un semblant de matelas. Autant dire, rien.

On a donc laissé Noël derrière nous et on a pris la route sous la tempête. A croire que chaque fois que l’envie de s’échapper pour un réveillon se dessine, le vent, la pluie, la grêle s’invitent sans prévenir à nos côtés, comme des pique-assiettes ou des cousins de province qu’on aimerait oublier. Sur la côte, les assauts du vent faisaient vibrer les murs, la pluie faisait dégueuler les rigoles : on avait là le meilleur des accueils hivernaux, une tempête de solstice, une tempête de Pleine Lune.

Passés les premiers jours à voir les copains et à bosser ardemment avec une cliente au téléphone, désireuse de ne pas me laisser ne serait-ce qu’une seule minute de répit, on a laissé couler les premiers jours à ne rien faire, à ne rien planifier, à regarder le ciel pleurer à froides larmes.

Et puis Mercredi arriva, on avait à peine déroulé la carte sur l’antique tapis du salon, posé un doigt ici, un autre là, on n’avait pas d’idées, que des envies, pas de planning, que des parties.

Ahüzki était censé être notre golden goal, j’avais envie de voir ce village oublié des montagnes de la Soule dont j’avais récemment lu le livre de Rouffet. Sauf que voilà, cette année la neige était de la partie. Élément perturbateur de ce road trip du réveillon, essaimant le long de notre route une multitude de points d’interrogations.

Ici les routes de montagnes sont à demi-fermées, quoiqu’il arrive, laissant alors le voyageur se diviser en deux catégories : ceux qui tentent et ceux qui renoncent. Comme disent les anciens « si l’hiver commence tôt c’est qu’il sera froid ». La neige tombait comme du sucre glace sur les vallons du Pays Basque, repoussant la limite pluie-neige à des altitudes de la Beauce. On savait qu’on allait en croiser, on ne savait ni où, ni comment.

On est donc partis sous des trombes d’eau et de grêle. Les essuie-glaces asthmatiques peinaient à se coordonner et le rideau opaque de la pluie nous empêchait d’y voir vraiment clair. Mais comme je l’ai déjà dit maintes et maintes fois, ici, regarder la météo est aussi utile que de compter les montagnes. Le temps change en quelques tours de roues, un nuage bloqué par les montagnes et vous voilà en pleine cure de Vitamine D.

Laissant Saint-Jean-Pied-de-Port et sa citadelle dans le rétro, on a pris une route rebondie qui nous laisserait le choix de pousser sur Iraty ou de se replier vers Harpea. Deux salles, une ambiances, le manteau neigeux qui commençait à se rapprocher. J’ai fait un signe de la main en recroisant les brebis que Maïder avait gentiment remises dans leur champ et on a décidé de grimper vers Iraty reprenant une route qui apparait sur ce blog dans de nombreux articles.

Comme on l’avait anticipé les fesses d’Errozate étaient déjà tombées dans la poudreuse, faisant ressortir ses flancs d’un noir charbon et donnant cette subtilité graphique que j’aime tant, ce dégradé tout doux délimitant avec tendresse la limite des dernières chutes de neige. Des limbes de coton jouaient à s’enrouler autour des flancs à la manière des vautours fauves qui nous survolaient aussi contents que nous de ce soudain changement de paysage.

Les tons encore automnaux des landes herbeuses avec ses tons d’or, d’ambre et de cuivre semblaient pousser la saturation aux côtés des sommets blanchis.

Au col d’Arthé (937 m), on a revu les souvenirs de la route d’Oihanbeltz et de la Petite Ecosse. Enfin, on a plus imaginé que vu tant la couche de poudreuse avait totalement modifié le paysage environnant, bousculant les souvenirs, dérangeant les images, n’en gardant que quelques : « Mais,… ce n’était pas là que… ? ».

La neige qui tombait à gros flocons, dans sa longue descente depuis les cieux aspirait le moindre petit son, nous redécouvrions alors ce silence ouaté des pays nordiques qui nous manquait tant. Les pas qui craquent, les flocons qui chatouillent le nez, les mains qui rougissent par le froid.

Col d’Arthé
(937 m)

A ce moment-là, on a dit merde à la vie et à ses problèmes, on a mis les clientes intrusives, les crises, les ennuis, les personnes que l’on aime sans pouvoir les aider, on a tout envoyé valser pour ouvrir grands nos yeux sur la beauté de la vie.

Mêlant nos pas à celles des skieurs de fond, on s’est approché du bord pour faire un gâté, comme disent les gens des Ardennes, à l’Errozate et l’Arthaburru qui disparaissaient dans une lumière d’un bleu glacial. Des années au Pays Basque et je n’avais jamais été amoureux de ce pays que devant ce paysage virginal.

On s’est donc posé au carrefour et on y est resté jusqu’à ce que nos pieds nous demandent d’en partir. Mais entre-temps les questions ont fusé, on a pesé le pour et le contre se poser le long de la bergerie pour y passer la nuit. Il faut dire que le chauffage dans Lily n’est toujours pas installé mais on fait confiance aux couettes, plaids et chaussettes en laine pour survivre à cette nuit.

Sauf que voilà, le conditions annoncées sont mauvaises, on parle de quelques avalanches, d’une température qui va se casser la gueule et plonger dans des profondeurs négatives. C’est le moment où la raison se bagarre avec l’engouement des mômes que nous sommes face à la neige et à ces paysages.

A force de bien connaître le coin, je déroule dans ma tête la longue liste des coins de replis, des point of view, des bords de routes, parking et débords en tout genre. Sauf que la route qui y mène est enneigée et verglacée, mais là n’est pas le problème, elle est surtout très étroite et la chute peut vous emmener tutoyer les cieux pour l’éternité. En temps normal, les routes abruptes ne font pas peur, là, je manque de repère pour augmenter mon assurance.

On a tout de même attendu que la lumière bleuisse, et nous avons abandonné les lieux comme des gamins boudeurs à qui on refuse un caprice. Nos espoirs de dormir dans la neige, on venait de se les balayer d’une grande mandale, par respect pour nos appréhensions et par volonté de ne pas jouer avec le froid. Ce fut, là, le premier des demi-tours.

Dans la nuit qui tombait, on a délacé les lacets, tourné pour s’avancer vers Harpea sur cette route encaissée qui ne cessera jamais de connoter chez moi tout un bestiaire de créatures des mythes de la région.

Il faut dire que c’était notre première nuit dans Lily depuis que nous avions refait tous les travaux de l’intérieur, c’était un peu le grand test pour nous, c’est aussi pour ça qu’on a préféré jouer la sécurité. On s’est garé sur le parking d’un hôtel-restaurant, sous les cris des deux chiens aboyant à tue-tête et des râles de la Nive qui ne savait plus quoi faire de toute cette eau qui dégueulait entre ses rochers.

Les pieds humides, mais contents de pouvoir enfin se tenir assis dans Lily, on a réchauffé la soupe et découpé le poulet froid. Un vrai repas de champion loin des tambouilles instagramables des vanlifeurs en devenir, mais juste de quoi réchauffer et nous sustenter pour affronter cette nuit qui s’annonçait déjà frileuse.

Et elle le fût.

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