25 Oct La petite Écosse du Pays Basque
La Petite Écosse |
Les tourbières d’Archilondo
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Suggestion d’accompagnement sonore :
John Lee Hooker – One Bourbon, One Scotch, One Beer
(Chess – 1966)
Intrinsèquement enregistré par Amos Milburn, John Lee Hooker transforme ce classique en boogie endiablé. L’histoire d’un barman fatigué et d’un homme largué qui fait des heures sup’ au fin fond d’un bar déglingué. Une histoire de whisky, une histoire d’Écosse.
Je pourrais reprendre mot pour mot mon intro de la Forêt Noire. L’idée initiale ayant été de faire un seul et même article pour parler de la Petite Ecosse et de cette fameuse Oihanbeltz, sauf que voilà, comme un plat que l’on déguste, comme un bouquin dont, se rapprochant de la fin, on égraine les pages petit à petit pour ne pas avoir à le fermer définitivement, j’ai décidé de le scinder en deux parties.
Il existe donc au Pays Basque des paysages peu communs, différents que l’œil non habitué ne saurait distinguer. Un trait au milieu d’une ligne de point, des landes herbeuses au milieu des valons. Une anomalie autant qu’une surprise.
Il existe des endroits où l’on se sent chez soi, irrémédiablement, viscéralement, la tête, le corps dans une symbiose quasi parfaite mettant tous les signaux au vert. Welcome Home. Et pour moi l’Écosse est l’un de ces endroits refuges, une énième maison dans la liste de ces pays de cœur. Le son des cornemuses débutant « Flowers of Scotland » a toujours le même effet, les poils se dressent, les joues frissonnent.
Nous avions donc repris la route, en sens inverse, remonté la piste boueusement remplie de cailloux pour rejoindre le plancher des vaches. Longé les flancs de l’Hegi Eder (896m) et continué la grimpette dans cette route cachée qui est sans doute là-aussi, la plus écossaise des routes basques. Une route à vous gifler tant la beauté de son filet de bitume, grimpant en serpentines entre les rochers ne peut laisser personne indifférent.
Hegi Eder
(896 m)
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Et lorsque les nuages viennent se remplir de poussière d’une mine de plomb mal taillée, vous obtenez une ambiance surréaliste. Un truc, machin qui me vrille les tripes à chaque fois. C’est là, mon paradis de contemplatif introverti, j’y laisse un bout de mon âme, un bout de mon cœur que je me plais à retrouver quand les chemins de traverse me refont croiser ce dessin de bitume qui commence à s’effacer sous les touffes herbeuses.
Il y a un genre de magie qui enveloppe les montagnes basques, je l’ai toujours dit et je l’ai toujours senti. Cet endroit est l’esquisse de tous les endroits qui me parlent, des montagnes brisées en deux rappelant la Norvège, cette dureté que l’on retrouve en Islande et le vert doré érigé en couleur totem des plaines herbeuses d’Écosse. Tout ici, respire une histoire qu’il faut savoir lire et décrypter, remplissant mon cerveau jusqu’à la saturation mais ne me sentant jamais rassasié pour autant.
Un long train de bitume dessiné par une main malhabile, un truc pas droit comme les sillons de la vie, des touffes d’un vert complexe et les taches blanches des moutons paissant tranquillement sur les mamelons touffus des vallées. Voilà, en quelque sorte ma définition du bonheur. Mettez-moi derrière un volant et tel un Forrest Gump ou une Céline sur son vélo, je ne saurais m’arrêter jusqu’à trouver la fin d’un monde.
Passé ce rocher brisé que l’on pourrait prendre pour une énième brèche de Roland et qui est pour moi l’icône, la carte postale parfaite de cette route sublime, nous avons remonté le bitume, continuer les lacets pour finalement se poser sur un point of view naturel, qui fort heureusement n’est indiqué nulle part. Une surprise au détour d’un virage où le paysage, alors, vous saute à la gueule, remplissant vos yeux d’une beauté dont il est, je pense, impossible de se lasser.
La forêt d’Antsolako remontant le long des courbes des montagnes, comme un plaid tricoté par une mère dont on viendrait se recouvrir lorsque l’on sent les soirées devenir plus fraiches à l’approche de l’hiver.
C’était là, sous nos yeux, à peine masqué par les coups de gomme de nuages blancs s’accrochant aux sommets, eux aussi sans doute s’y trouvant bien.
Les formes dures, sauvages et abruptes des crêtes d’Errozate nous regardaient au loin, tandis que des cascades naturellement gorgées d’eau de pluie venaient dessiner de fins traits blancs au milieu de cette étendue de vert bruns.
A cet instant, vous auriez très bien pu me poser là et revenir me chercher des semaines et des mois plus tard. Y a-t-il de plus beau spectacle qu’une nature en mouvement, qui se travestit, se change, s’effeuille au gré d’une météo jamais certaine. Demandez-moi et je vous répondrai par la négative.
Errotzate
(1 345 m)
–
Le Pays Basque a, pour le moment, la chance d’être préservé et je ferai toujours en sorte d’y contribuer à ma hauteur. J’aime cet endroit de manière viscérale. Ici, nombreux sont les chemins et les routes, nombreux sont les collines, les pitons, les drapés, les rochers, les entailles dont les noms sont oubliés mais dont la magnificence reste elle, accessible.
On a laissé Errotzate dans le rétro, on a levé la main pour saluer les 1156 m de l’Arthaburru et puis la route nous a déposé en plein cœur de cette anomalie de ce trait au milieu d’une suite de points. Les obscures et mystérieuses montagnes ont disparu du paysage, d’un coup d’un seul pour nous déposer dans un terrain aplani, doux, rondelet, potelé et dodu.
Certes, la brume nous masquait un peu les horizons, mais, bien que ça ne rende rien sur les photos, il faut vivre cette brusque transition pour comprendre qu’ici ne ressemble à aucun autre ailleurs au Pays Basque. De fragiles tourbières s’offraient à nos yeux.
Fragiles car soumises à de fortes pressions des pâturages. Il en existe quelques-unes, notamment près du Mondarrain, mais la plupart des tourbières se trouvent coincées dans la vallée d’Iraty. Celle d’Archilondo que nous avions devant les yeux ne faisait pas exception à cette règle. 17,4 ha, une multitude de ruisseaux qui plus loin, plus tard, iront alimenter le rio Irati, situé de l’autre côté de la frontière.
Les tourbières, ce sont des petits milieux humides, des habitats complexes, fragiles, difficiles à cerner. Ce sont des microcosmes imbriqués les uns dans les autres. Je vous passe la longue liste de grassette, drosera et autres sphaignes que l’on peut y trouver. Il faudrait aussi qu’on vous parle du rat trompette, espèce endémique et mystérieuse qui a choisi les Pyrénées pour habitat, mais on préfère vous laisse rechercher sur internet sa bonne bouille d’ornithorynque.
Vous l’aurez compris, il respirait ici un air de whisky tourbé, de chardons violets, de scones tout droits sortis du four d’un salon de thé à Foyers, de fish&chips gras vous dégoulinant sur les doigts à Kirkwall. Robert The Bruce aurait déboulé avec sa barbe et son claymore en traversant les paysages qu’on se serait à peine étonné de l’y croiser.
Quand mes parents nous ont emmenés, mon frère et moi en Ecosse en 1998, je me souviens d’une de nos voisines qui nous avait murmuré comme un conseil d’ancien : »Quand vous verrez l’Écosse, vous comprendrez alors pourquoi le Pays Basque ». Pour plein de raisons et sans rentrer dans des considérations idéologiques ou politiques, ce sont deux territoires jumeaux. Des vieux frères dont l’histoire est proche, donc le paysage est proche tout autant que le sentiment d’appartenance à un territoire riche en Histoire et en identité.
C’est donc bien à l’abri, camouflé dans la végétation que j’ai garé la voiture pour arpenter les versants, n’osant m’aventurer dans cet habitat fragile que sont les tourbières, il n’est d’ailleurs pas si rare que des bêtes s’y enlisent.
Le temps changeant, la pluie, le vert, les moutons, les vallons chargés d’une histoire silencieuse dont il faut savoir en lire les récits de batailles, les légendes au travers les lignes de touffes humides. Il ne manquerait que quelques lochs pour venir terminer le tableau comparatif de ces deux territoires.
On a donc continué à regarder la pluie tomber et les petits rus se gorger d’eau, dans un silence de cathédrale avant de reprendre la route vers la suite de la boucle.
Et puis après avoir longé la tourbière de Souzray, les Chalets Pedro et juste après le col de Burdincurutcheta, j’ai soudainement bifurqué à droite pour, enfin, voir un lieu qui ne se voit que peu depuis la route et dont pourtant les histoires qui en découlent sont nombreuses.
Saint-Sauveur d’Iraty
(900 m)
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La Chapelle Saint-Sauveur d’Iraty est une entité mystique à elle seule et qui va bien au-delà de son statut religieux. Près de cette chapelle déposée là tel un caillou jeté dans le paysage, et dont on situe son existence au moins depuis le XIIe siècle, existe un petit édifice carré, une sorte de niche. Dans cette niche on pouvait trouver une statuette en bois polychrome, représentant une jeune fille, le bras en l’air et portant une houe. Xaindia, la sainte, tel était son nom.
On raconte qu’un soir elle était sortie dans la nuit à la recherche de cet outil, servant à diviser le maïs, mais maudit par le valet de la ferme qui se délesta de 10 sous pour qu’elle s’acquitte de cette tâche, elle fit alors la rencontre d’esprits démoniaques. Emportée dans les airs par ces derniers, c’est en reconnaissant et en survolant la chapelle qu’elle se mit à crier « Saint-Sauveur, faites-moi grâce, ayez pitié de moi ! » et instantanément, les démons la déposèrent sur le sol. On dit que la chapelle abriterait d’autres objets relatifs à cette légende.
Mais il en existe une seconde, celle du chandelier de Saint-Sauveur, que l’on pourrait résumer ainsi. Un jour, un valet de Lohibarra partit en montagne à Galharbeko-Potcha faire paître quelques vaches. Il aperçut alors une Dame Sauvage dans une grotte (sans doute Basandere) qui venait de dérober un chandelier en or. Le valet, n’en démordant pas, réussit à obtenir le fameux chandelier. Mais lorsque la Dame Sauvage s’aperçut qu’il le destinait à la Chapelle Saint-Sauveur, elle se mit dans une immense colère, réveillant ainsi son compagnon, le Basajaun.
Courant à toute vitesse, le valet arriva à la chapelle et lança quelques suppliques et d’un coup, les cloches de la chapelle se mirent à sonner, effrayant la Basandere et le Basajaun. Ce dernier menaça le valet que la prochaine fois qu’il le croiserait à jeun, il en serait fini de lui.
Quelques-jours plus tard, après avoir battu les semis, le valet tomba face-à-face avec le Basajaun. Se croyant au bout de sa vie, le valet se gratta la tête et découvrit quelques grains de blé accrochés dans ses cheveux, les porta à sa bouche afin de rompre le jeun et ainsi Basajaun disparu.
Le valet tenu sa promesse et déposa le chandelier dans la chapelle. Ce chandelier désormais n’est plus d’or mais noir. Les espagnols brûlèrent par deux fois la chapelle, mais le chandelier résista. On raconte aussi que des habitants du village de Mendive voulurent le déplacer, mais bien que tiré par quatre vaches, il fut impossible de le déplacer plus loin qu’un col. Désormais le chandelier repose et reposera à jamais dans la chapelle Saint-Sauveur d’Iraty.
Comme on peut le voir, et désolé si j’ai perdu quelques lecteurs en route, mais les légendes sont nombreuses au Pays Basque et fruit d’un savant mélange entre des rites païens ancestraux et une religion catholique balbutiante et qui deviendra omniprésente.
Malheureusement la chapelle étant fermée, impossible pour nous de pouvoir poser les yeux sur ce fameux chandelier, mais la Chapelle Saint-Sauveur, renferme une autre part d’histoire, plus proche celle-ci et surtout plus personnelle.
Nichée au cœur des cols et des montagnes, la Chapelle fût un important point de repli pour tous les évadés de France, les citoyens belges et notamment ceux du Réseau Comète, qui fuirent l’Europe occupée. Saint-Sauveur était une halte un point de repos, comme il peut encore l’être pour les pèlerins de Saint-Jacques.
Iraty renferme à elle seule l’histoire d’un incroyable réseau de passeurs, notamment d’un docteur belge qui reprit la scierie locale pour en faire une véritable plaque tournante et sauva un nombre démentiel de citoyens, aviateurs, familles et enfants de la barbarie.
Et si ce lieu me parle c’est sans doute, car comme évoqué dans d’autres articles, mon grand-père fût l’un de ses Évadés de France. Certes, il ne passa pas par Mendive ni Iraty mais néanmoins, son histoire est intimement liée à ses montagnes. Tout comme la mienne.
Si jamais vous désirez en savoir plus sur les légendes du Pays Basque et sur ce réseau de passeurs dans la région d’Iraty, comment ne pas vous conseillez les ouvrages suivants :
Le chirurgien et le berger, de Meg Ostrum
(Ed. Auberon)
Céline
Posted at 15:25h, 25 octobreUn très bel article qui donne envie de s’installer au coin du feu, rêver de contes d’ailleurs et se réchauffer en écoutant la pluie embrasser les vitres. Entre les photos et les mots, on imagine des étendues de brume silencieuse. À chaque phrase, l’envie de découvrir les coins méconnus d’une région si proche et si lointaine font vibre le cœur du lecteur. Bravo pour ce très bel article.
Merci infiniment pour les mentions. Cela me touche beaucoup.
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retourdumonde
Posted at 18:35h, 25 octobreIl y a un certain type de commentaire que l’on attend plus que d’autres. Alors commençons par simple et fameux Merci Céline. En effet l’Écosse tout comme le Pays Basque appelle tous les deux à regarder les paysages changer, la pluie embrasser les vitres, le tout bien au chaud, sous un plaid, un thé en main et à observer cette nature si proche que l’on oublie parfois que la France regorge de trésors. Merci à toi, pour ta plume, pour tout.
Isa
Posted at 18:24h, 01 novembreUne journée morne et triste, la nuit tombe… Et si je rattrapais enfin mon retard en vous lisant ? Une fois de plus, mon cœur vibre de ces lieux que nous allons explorer bientôt, et c’est certainement grâce à vous 🙂
retourdumonde
Posted at 15:21h, 02 novembreOh merci Isa pour ce petit commentaire automnal, je suis ravi de voir que je peux en inspirer certains à se perdre sur les routes du Pays Basque. N’hésitez pas si vous avez des questions ou autres, je serais ravi de pouvoir vous aider ou vous conseiller.