Promenons-nous dans les bois de l’Embalse de Irabia…

Promenons-nous dans les bois de l’Embalse de Irabia…

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Embalse de Irabia

Embalse de Irabia

Selva de Irati

Suggestion d’accompagnement sonore :

Barbara – L’aigle noir
(Philips – 1970)

Chantée, murmurée voir parfois criée, ce classique de Barbara a été la bande son de cette escapade dans les sous-bois. Comme un cri, un 
exutoire.

Ça commence par un coup de fil au milieu des rayons d’un Leroy Merlin, perdu entre les scies cloches, les taquets pour étagère et les loqueteaux billes. Un coup de fil manqué, une fois de plus. Et ça se termine au milieu d’un petit Canada lové près de la frontière entre la France et l’Espagne. Ça a démarré comme ça, tout simplement.

J’ai appelé Maïder…non, elle m’a appelé, je n’ai pas répondu, elle m’a rappelé, on s’est rappelé et on s’est donné une heure de rendez-vous le lendemain, sans savoir à quoi ressemblerait la météo et avec, tout de même, une petite idée de la direction vers laquelle s’échapper.

Ici, il ne sert à rien de regarder la météo, les prévisions sont inutiles, il suffit juste de parler la langue des nuages, de tendre son nez vers le ciel et de sentir d’où vient le vent. Aucune météo n’est certaine et c’est sans doute aussi pour ça que je suis autant amoureux de cet ailleurs. Rien n’est figé, rien n’est immuable, il y a toujours l’espoir d’un rayon de soleil.

On s’était donné rendez-vous à 13h45 tapantes. J’étais à la bourre, la faute à un repas avalé trop tard, avec des habitudes parfois compliquées à bousculer, à des gens que l’on aimerait changer et dont on n’arrive pas à trouver la clé.

Le ciel avait arrêté de pleurer depuis un petit moment, laissant entrevoir l’espoir d’une météo plus clémente, pariant même sur quelques rayons de soleil qui se seraient perdus sur le chemin du sud. On a filé plein sud-est, avec pas mal de bornes à avaler, au gré des micro-siestes pour certains et d’une conduite silencieusement solitaire pour d’autre. Prendre la route a un effet cathartique chez moi, ça m’apaise. Aller chercher un ailleurs, conduire vers un connu qui aura peut-être changé après toutes ces années.

On a passé la vallée noire et sombre d’Arneguy, village frontière emmailloté dans une vallée pas à sa taille, comme dans un pull trop petit, remonté Ibaneta, descendu Orreaga / Roncevaux et les maisons se sont mises à changer comme le basque que l’on parle ici. La vallée d’Aezkoa est comme son idiome – l’aezkara – un endroit à part du Pays Basque. Les maisons changent de forme, les toits en trois pans ont des allures de maisons de montagnes allemandes et non de chalets suisses. Même l’air y sent le froid et la neige.

Les vallées sont rondelettes, avec des formes charnues sans être ostentatoires tout en étant terriblement attirantes. Et les routes, elles, sont landaises ou patagones, un long trait droit, tracé au cordeau.

Après s’être enfoncé, passé le point d’entrée et s’être délesté de 5€, j’ai avalé le reste de bitume pour enfin poser nos roues sur les hauteurs du barrage, l’Embalse de Irabia.

Embalse de Irabia
(830 m)

La plus grande hêtraie d’Europe se pare alors en cette saison d’automne de son manteau canadien. Une carte postale à elle seule qui s’allume et rayonne lorsqu’un trait de soleil perce les nuages lourdement chargés restés coincés au cul des montagnes.

La porte ouverte, la tablette du def dépliée, j’ai déballé l’aluminium de son quatre-quarts comme un carburant nécessaire à cette journée qui resterait à jamais mythique. Je confesse, je me suis enfilé 3 parts avant de lancer mes jambes sur le chemin.

Le tour de l’embalse peut se tenter de deux façons différentes, par deux voies possibles. Allez savoir pourquoi, mais sans doute par habitude, je l’ai toujours attaqué de la même manière, par l’est. Chemin que l’on commence par une descente un peu casse-gueule dans une légère boue glissante et puis vient le petit moment qui a des allures de James Bond.

Comme la majorité des lacs du Pays Basque, ils sont avant tout des retenues de barrages, des réservoirs, et l’Embalse de Irabia n’y fait pas exception. Un grand barrage en arc-de-cercle vient marquer le début ou la fin de la balade, mais un départ comme un autre avant une plongée en son cœur boisé.

On reste un petit moment sur cet arc-de-cercle bétonné, à attendre que la lumière ne change, à attraper un rayon de soleil venant taper sur les épineux, comme un chasseur chasserait des papillons. C’est rapide, fugace, ça demande d’avoir les sens en éveil, la rapidité d’un iguane attrapant une mouche au passage. C’est surtout terriblement frustrant pour les photographes que nous sommes, mais terriblement apaisant pour les contemplatifs qui nous habitent.

C’est sous cette lumière mouvante, ondulante que la beauté de la forêt d’Iraty se dévoile. Ce patchwork de tons automnaux, comme un vieux pantalon que l’on aurait rapiécé avec des bouts de tissus tombés sous la main, que l’on aurait cousu sans logique, sans harmonie réfléchie mais qui in-fine donne cette ensemble cohérent de beauté.

Il faut imaginer la Forêt d’Iraty, il faut en dessiner mentalement les contours de son étendue, 17 194 hectares, coincée entre la crête d’Okabe et le Pic d’Orhy, lovée entre la vallée de Salazar et celle d’Aezkoa. Le second territoire boisé d’Europe après la Forêt Noire, celle d’Allemagne cette fois.

Dans une alchimie savamment élaborée par des années de partage, de vadrouille, de routes silencieuses, de confessions partagées, un truc parfaitement rôdé où les rôles s’échangent au gré des besoins. L’un écoute, l’autre parle. C’est donc encore une fois avec les mêmes habitudes que la machine s’est remise en route pour une énième fois, une nouvelle aventure le long des chemins obscurcie par la densité des hêtres.

On a avancé, vadrouillé, s’arrêtant parfois longtemps pour quelques photos, pour en comprendre le paysage, pour l’appréhender, pour le cerner afin de mieux le mettre en valeur.

C’est au son des paroles de l’Aigle Noir que nous avons déroulé le film de cette nouvelle journée. Des histoires de yeux couleur rubis, de plumes couleur de nuit, mes oreilles en absorbant des bribes tandis que ma comparse chantait à tue-tête, comme cherchant à communier avec les champignons que nous n’avons jamais trouvés.

L’appareil est plus ou moins resté pendu à ma main, comme si j’avais plus envie de me manger des images plein les yeux qu’au travers de l’œilleton de mon boitier. Parfois c’est comme ça, l’envie ne se fait pas ressentir. J’avais juste besoin de marcher dans les feuilles et la boue, d’observer la mousse s’approprier les lieux, d’écouter le silence des piaillements d’oiseaux, des feuilles qui bruissent par le vent. Écouter les nuages avancer, sentir la pluie me tomber sur le coin du museau le nez en l’air à regarder les feuilles s’évanouir.

Mon côté introverti, mon côté ours ressentait, au cœur de cette forêt nous entourant, un fort besoin de me réfugier en moi-même, de ne plus être qu’une oreille qui écoute, une épaule qui encaisse.

Ouvrir ses yeux, déployer ses sens, et se laisser porter, laisser ses pensées vagabonder dans un bordel sans nom en espérant vainement qu’à la fin du parcours tout viendrait à se retrouver miraculeusement bien rangé et en ordre.

Le dernier clic, la photo finale sera cette mini forêt de champignons accrochée à un arbre, sur lequel nous nous arrêterons un moment tout en y jouant du tam-tam. Longue histoire. On poussera nos guêtres jusqu’à la fin du chemin qui n’aurait pas dû s’arrêter là. L’ancien pont qui permettait de changer de rive et de continuer la balade, ayant subitement disparu dans un effondrement.

Résultat c’est l’appareil rangé et a une allure plus soutenue que nous rebroussons chemin dans une nuit qui gentiment viens se mettre sous ses draps d’un bleu dense. Dans une lumière entre chien et loups et tandis que la canopée qui nous surplombe absorbe le moindre photon lumineux.

Obligé à forcer sur mes yeux, à poser mon talon pour éviter une glissade le cul dans la boue nous rebroussons chemin, laissant ma comparse derrière prendre quelques dernières photos, tandis que je cours rejoindre la lumière du soir, apaisant ainsi mes yeux fatigués.

J’ai repris un morceau de quatre-quarts pour m’injecter une dose de sucre nécessaire à prendre le long chemin du retour. Et puis la soirée à commencer à écrire ses lignes les plus invraisemblables et à la fois les plus mémorables des multiples anecdotes que j’ai du Pays Basque.

Ca a commencé par un chemin retour en pleine nuit, à la lueur des longues portées alors que des seaux d’eau commençaient à être déversés depuis le ciel. Faudrait que je vous raconte que l’on s’est fait arrêter par un troupeau d’une quarantaine de vaches, ayant pris la route pour un champ de pâture.

On est arrivé là-dedans comme un jeu de quille, stoppés net entre celles qui cherchaient à s’encorner, se coinçant la corne dans le collier, les autres “prêtes à aller au taureau” comme on dit, se montant dessus. Tandis que des veaux en plein digestif, continuait de téter leur mère, et pour finir, les dernières, les naseaux fumant de stress se savaient pas quel mouvement opérer.

On a réussi à s’en dépêtrer. Faudrait aussi qu’on vous raconte qu’on a remonté la piste d’Orbaizeta, passé une fabrique d’armes abandonnée depuis le 19e, on s’est enfoncé dans une brume à découper à la feuille de boucher, le tout sous des trombes d’eau, me laissant à peine entrevoir le capot, me faisant m’arrêter à 40 cm de la fin de la route, ayant perdu tout repère sur une route, que pourtant, je connais bien.

J’ai descendu la forêt d’Orion pour perdre en altitude et gagner en visibilité, et puis vint Esterençuby, la cerise sur le gâteau, the cherry on the cake d’un retour dont les rebondissements ne cessaient de s’arrêter. Dès l’entrée du village, 3 brebis sont venues s’accrocher en wagon en voiture ouvreuse.

Des brebis au galop, impossible à dépasser, à doubler, c’est au pas que la voiture a traversé le village, réveillant les habitants. Ô, certains se lèveront bien de leur canapé pour venir tenter de remettre les brebis dans le droit chemin mais abandonneront aussi vite qu’il commenceront.

Tout ceci se terminera par une remontée d’un instinct primaire d’une Maïder bergère, qui sortant de la voiture d’un pas décidé, poussera les brebis dans un champs à coup de grands brassements d’air avec les bras. Le reste du retour en fut presque triste tant nous nous étions habitués à ces coups du destin.

2 Commentaires
  • Sarah
    Posted at 10:51h, 27 novembre Répondre

    Encore un récit passionnant et des photos splendides!
    J’ai déjà rencontré ce lac, qui m’avait plutôt déçue je dois l’avouer… je le vois maintenant avec un autre regard et me dis qu’il mériterait surement une nouvelle visite.
    Merci pour ces récits magiques qui me donnent des envies d’aventure!

    • retourdumonde
      Posted at 16:46h, 29 novembre Répondre

      Merci Sarah pour ce joli commentaire.
      Quand y avais-tu été ? Il est bien possible qu’à d’autres saisons comme en été, ce soit un endroit assez populaire. Même en octobre, avec des journées courtes, il y avait tout de même du monde.
      Mais vraiment, si tu as l’occasion d’y allez en automne, peut-être que les couleurs te feront changer d’avis. Merci à toi.

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