Voguant dans la brume d’Urdanarre

Voguant dans la brume d’Urdanarre

Suggestion d’accompagnement sonore :

Mikel Laboa – Gure Bazterrak (Herri Gogoga – 1974)
La voix grave de Mikel Laboa chantant le magnifique poème de Joxean Artze, le tout accompagné d’une simple guitare, la symbiose parfaite pour nous parler des paysages et de la brume.

On dit que les gens comme moi, les balances, aiment d’un amour entier, sans retenue, sans barrière, sans demi-mesure, à fond quoi. On aime rendre les gens heureux avant de s’occuper de soi. Est-ce que c’est vrai ? Putain, j’en sais trop rien dans le fond. Mais quand on y pense y’a pas un peu de ça. Beaucoup même. C’est tout ou rien, et c’est souvent tout, plus que rien. Et comme le disait le poète Joxean Artze, je les aime nos paysages lorsque la brume les cache.

Sur les côtes, les vents avaient baissé le drapeau, ils avaient abdiqué, pour laisser un semblant de beau temps. Mais ici, rien n’est jamais acquis, pas même le temps, surtout pas le temps. D’un clignement de paupières, tout peut être balayé d’un revers de la main comme on nettoie les miettes de pain après le repas du dimanche.

On s’était vu beaux, les jambes nous démangeaient depuis la rando d’Aizkolegi, on avait, de nouveau envie de se casser les genoux dans les roches de montagne, de sentir la sueur couler le long de notre échine à nous en faire frissonner. Les guiboles prêtes à affronter quelques dévers.

Dans le viseur, le col de Bentarte qui va se chercher du côté de ce coin que désormais j’ai fait mien, la vallée d’Urdanarre, à quelques pas d’Harpea. Mais cette fois-ci, on a pris l’histoire à contre-sens, par volonté de changer, de ne pas se lasser, on a pris le problème à revers. Plutôt que de marcher de nouveau sur les mêmes traces dans le même ordre, on a décidé de remonter le sens des aiguilles.

On laissait derrière nous les nuages créer des formes de Rorschach sur les montagnes de la vallée d’Arneguy et de Ronceveaux. Mon esprit partait en vrille, je voyais une ressemblance étrange dans les montagnes en forme de pyramides avec des rizières laotiennes.

Au loin, immuables, toujours là, les montagnes déchiraient les nuages de leurs pics acérés. Et puis soudain, sans rien demander, la brume s’est invitée sur notre route. Elle et moi, on est comme des vieux potes qui ne se voient pas si souvent, toujours contents de se retrouver, toujours prêts à s’aimer, ayant l’impression de s’être quittés la veille.

Le bitume lézardant entre ravins et collines herbeuses, ressemblait à un filon d’onyx, sans queue ni tête, au beau milieu d’un paysage qui tentait de disparaître entre les volutes transparentes. C’est sans doute quand un élément perturbateur s’invite que je l’aime encore plus ce fichu pays.

Que cet invité soit sous la forme de neige, d’orage, de pluie, de brume, de tempête, c’est indéniablement là, que son vrai caractère ressort. Colérique mais doux, fier mais attendrissant, orgueilleux mais attentionné. C’est dans ces moments là que j’ai envie de le serrer dans mes bras pour lui dire tout ce qu’il m’a apporté, comment il m’a façonné, au combien il m’a construit pour faire celui que je suis.

Gure Bazterrak

Maite ditut
Maite
Geure bazterrak
Lanbroak
Izkuztatzen dizkidanean
Zer izkutatzen duen
Ez didanean ikusten
Uzten
Orduan hasten bainaiz
Izkutukoa
Nere baitan bizten diren
Bazter miresgarriak
Ikusten.

Joxean Artze

Nos Paysages

Je les aime
J'aime
Nos paysages
Lorsque la brume
Les cache
Ne me permettant pas
De voir
Ce qu'elle cache
Alors je commence
Dans ma cachette
A voir des paysages merveilleux
Qui se mettent à vivre
En moi.

Joxean Artze

J’ai beau connaître le coin par cœur, avec cet océan de brume sur lequel nous voguions, j’avais le sentiment de le découvrir pour la première fois. D’y attendre à chaque détour de virage, un nouveau cadeau à déballer, une nouvelle pépite à admirer. Noël en avance.

Au fur et à mesure que nous grimpions, soudain je l’ai vue de nouveau, celle qui désormais est mon repaire, la borne sur le chemin de mon cœur.

La croix d’Urdanarre était là, immuable, intangible, ne pliant pas et ne rompant pas. Stoïque malgré qu’elle se fasse gifler par les assauts du vent, enveloppée dans un linceul de brume. Le silence était de cathédrale, uniquement perturbé par les morceaux de tissus laissés par les pèlerins, claquant contre la barrière de métal. L’unique bande-son du paysage, une mélodie redondante, pas inquiétante, mais simplement entêtante, décuplant la force mystique de ces symboles.

Les ex-votos s’accrochaient du mieux qu’ils pouvaient au moindre petit morceau de caillou, peinant à ne pas s’envoler lors d’un énième coup de reins de sa majesté le vent. La devise des pèlerins elle non plus n’avait pas bougé, Ni naiz bidea (Je suis le chemin).

Le brouillard lui, en plus de nous envelopper, nous aveuglait au point de nous ôter la vue, nous glaçait les os au point de grelotter. Nous avions perdu nos sens.

La brume dansait comme un derviche tourneur, à nous en foutre le tournis. Désorientés mais pas désemparés. Nos repères étaient chamboulés, le vent nous modelait le paysage à chacun de ses assauts. Comme l’impression de regarder une vidéo en avance rapide, pas le temps d’apprécier, de prendre en photo, en considération, que déjà, cette roche là-bas au premier plan, venait de disparaître.

5 m de visibilité, pas plus, nous avons compté. Tout juste l’écart entre deux piquets à neige. Au loin, entre deux lames de brume, j’ai vu une forme se dessiner au loin. Une forme que je ne connaissais pas, une forme que je ne reconnaissais pas. Elle m’attirait comme un aimant, je ne contrôlais plus mes pieds, plus rien.

Et quand à pas lents et vacillants j’ai commencé à en lire la plaque, moi le petit-fils d’Evadé de France, j’en ai chialé. Trop d’égo pour le montrer mais oui, j’en ai chialé comme un môme. Chialé à chaudes larmes au plus profond de mon âme, de mon histoire, de moi. Le visage sec mais l’âme en peine.

Il était là l’hommage à ces oubliés de l’Histoire, à ces héros souvent anonymes. J’avais encore trouvé une pièce du puzzle. Une ligne de plus de cette histoire dont je ne connais malheureusement que l’esquisse griffonnée sur des feuilles volantes et soigneusement pliées et cachées au fond d’une poche intérieure d’une veste d’un civil. Civil qui laissa sa vie derrière lui, abandonnant les siens pour mieux les sauver, qui traversa des montagnes, escalada des crêtes, la trouille au ventre. Mon grand-père.

Mais de cette histoire, je n’en ai que les grandes lignes, un vaste brouillon. Le temps a passé, le fil de l’histoire s’est rompu et c’est ce qui me ronge. Les détails s’en sont allés en même que l’homme. Et moi, je suis un homme de détails, là même où se cache le diable. J’en ai besoin d’un maximum pour savoir, pour comprendre, pour imaginer, pour avancer. Et dieu sait que je n’aime pas les blancs, les vides, les trous, je me sens obligé de les combler pour effacer cette vague impression de louper un truc. De ne pas avoir la vision d’ensemble du tableau, de manquer une marche au point de me casser la gueule.

Besoin de savoir d’où l’on vient pour savoir où je vais. Cette relation à trois, entre moi, lui et ce Pays, elle est trop forte, tellement improbable pour que je n’y passe pas ma vie à l’alimenter, à la décortiquer, à rassembler les miettes pour en construire un ensemble.

Je suis sorti de ma réflexion, j’ai séché mes larmes, et emballé cette émotion dans un mouchoir que j’ai soigneusement plié, et rangé au fond de mon cœur. Nous étions là pour crapahuter, sauf que voilà, le vent continuait de forcir, la brume d’épaissir. Et même si Bentarte ne se trouvait qu’à 2 ou 3 kms, il aurait été inconscient de s’y lancer tant la visibilité variait du moyennement bon à exécrable. On apprendra d’ailleurs plus tard, à la redescente sur Saint-Jean-Pied-de-Port, que le col était annoncé comme fermé aux pèlerins.

Le chemin, le seul qui va d’Urdanarre à Orgambide, est l’un de mes passages préférés, car il ne ressemble à rien que je ne connaisse au Pays Basque. Quelques centaines de mètres où le rocher semble être le seigneur des lieux. Ils sont partout, comme jetés là. Tantôt à nous donner l’impression d’animaux fossilisés, figés et transformés en cailloux blancs, tantôt donnant l’impression d’être les vestiges d’un antique théâtre à ciel ouvert.

Comme une vigie régnant et surveillant ce paysage incertain, des silhouettes d’arbres aux bras multiples, se découpent dans les limbes. Triomphants, imposants, parfois inquiétants, tant ils semblent à deux doigts de prendre vie. Ils me fascinent, ils nous fascinent.

Dans le silence, chacun de nous errons dans ce paysage époustouflant d’une beauté spéciale, toute particulière qui vous chamboule autant qu’il peut vous repousser. Ici, tout semble posséder une âme. Nous, nous perdons dans les brumes, la silhouette de Cécile disparaît, comme absorbée dans une autre dimension pour de nouveau s’esquisser et redevenir présente.

Magique, mystique, j’en perds mes adjectifs et mes superlatifs. Revenons aux fondamentaux : C’est beau !

Nous nous arrachons et redescendons sur le plateau d’Orgambide. Ce plateau, je le connais désormais par cœur, j’en connais ses formes sous toutes les saisons possibles, qu’il soit recouvert de neige, nappé de brouillard ou éclatant sous un cagnard, je l’aime du plus profond de moi-même.

L’harrespil (cromlech) d’Orgambide est toujours là, lui aussi, défiant les guerres, les siècles, les tempêtes, il reste là bien figé, témoin de temps immémoriaux où l’on érigeait des sépultures dans les plus beaux joyaux de la nature.

Sur cette pierre percée qui trône au milieu de l’harrespil, chaque année, les bergers de la vallée d’Aezkoa et ceux de Garazi, signent une charte de bonne entente, faisant fi des frontières, s’accordant le droit de faire paître leurs bêtes sur chacune des deux vallées. Un accord tacite, un respect mutuel.

Quitte à être là, comme si on allait visiter un bon ami ou une vieille tante, malgré que l’heure tourne, nous filons sur cet amour de bitume qu’est la route qui mène à Harpea. D’Harpea j’ai déjà tout dit. Cette cuvette aux montagnes ridées, plissées, aux âges qui nous dépassent m’émeut à chaque fois. Je pense ne jamais avoir ressenti de puissance face à elles. Nous sommes insignifiants, elles sont majestueuses. Point.

Alors que les montagnes vêtues de leurs robes sèches et automnales défilent à notre gauche, ce n’est pas le destin qui se met en travers de notre route, mais simplement un pottok rebelle, bien décidé à nous en faire voir. S’engage alors une partie de combat de regard entre lui et moi. Ce qu’il ne sait pas, c’est que je viens de Paname, j’ai grandi dans l’Est parisien, les combats de regards là-bas y sont la règle, et ce n’est certainement pas sa petite mèche blonde qui va m’impressionner.

Mais le bougre tient bon, les larmes me montent aux yeux à force de ne pas les plisser. Refusant d’abdiquer, je m’empare d’un atout dont il est dénué : la voiture. Avançant à pas de loup, je tente de le faire reculer, et au bout d’une bonne dizaine de minutes, résigné, il cède, n’omettant pas de nous lâcher une bonne bouse en guise de doigt d’honneur et pour appuyer un peu plus son territoire.

D’Harpea nous n’en apercevrons que les contreforts, le chemin déjà limite casse-gueule est impraticable de boue. Un coup à avoir les pompes qui restent bien accrochées dans la boue, et se retrouver 30 m plus bas dans la rivière glacée. On aime bien l’aventure mais il y a des limites. Le vent toujours brutal suffirait à lui seul à nous faire chavirer du petit chemin n’excédant pas deux pieds de large.

Au fin fond de la vallée, la nuit se couche. Nous faisons route en sens inverse, le pottok a disparu en même temps que ses congénères, et nous filons vers la côte, laissant les montagnes et le brouillard derrière nous. En ce soir de Super Moon, le soleil a décidé de se parer de belles couleurs douces et pastels. Bien que les nuages chargés d’un temps bien dégueulasse semblent décidés de faire quelques heures supp’. On s’arrête quelques instants dans un de nos endroits secrets, tellement secrets que l’on peine à chaque fois pour le retrouver.

On a rien fait de cette journée, tout est tombé à l’eau et pourtant c’était suffisant pour nous transporter. Comme quoi, même en terrain connu, les surprises et l’émerveillement peuvent être de mise. Je ne cesserais de répéter, article après article au combien ce Pays Basque m’est cher, tant pour des raisons personnelles, que pour des raisons émotionnelles. Y voguer parmi ses montagnes, ses plaines ou ses côtes, ne me lasseront sans doute jamais de ces paysages merveilleux qui se mettent à vivre en moi.

Nikon D610 | Yashica Mat 124-G – Ilford HP5

Une histoire de montagne, de brume et de beaucoup d'amour. #PaysBasque #Urdanarre Cliquez pour tweeter

12 Commentaires
  • Florence
    Posted at 11:05h, 01 février Répondre

    Sublimes photos! La brume n’est certainement pas ma meilleure amie dans la vie de tous les jours, mais tu as réussi à la capturer et à jouer avec elle ! Superbe

    • retourdumonde
      Posted at 14:42h, 04 février Répondre

      Coucou Florence, je comprends que la brume ne soit pas forcément le meilleur ami, mais quand elle apparaît sur des paysages que tu connais d’ordinaire, ça redessine totalement les contours, ça modifie ta perception, ça t’isole dans un coin pour mieux apprécier, bref, j’adore. Merci pour ton commentaire ! 😉

  • Lili de Jolis Voyages
    Posted at 11:36h, 03 février Répondre

    C’est beau le Pays basque et vous le rendez encore plus beau à mes yeux à travers vote billet !
    Lili de Jolis Voyages Articles récents..Notre semaine en famille au Pays BasqueMy Profile

  • Adeline
    Posted at 13:31h, 04 février Répondre

    J’adore cette région ! Je l’ai découverte y’a même pas un mois, tes photos me donnent envie d’y retourner 🙂 J’ai bien ri pour les chevaux ! J’ai pas eu la chance d’en voir mais j’aurais adoré 😀

    • retourdumonde
      Posted at 16:06h, 04 février Répondre

      Merci Adeline, le Pays Basque, des deux côtés de la Bidassoa, est une région pleine de trésors ! Pour les pottoks, c’est bizarre, ils sont souvent dans les pâtures dans les montagnes, une prochaine fois sans doute 😉

  • Audrey
    Posted at 23:05h, 08 février Répondre

    Superbe ! J’ai l’impression que tu racontes un pays lointain alors que pour moi qui suis de l’Hérault c’est “juste” à l’autre bout des Pyrénées, Merci pour ces découvertes à chaque fois !

    • retourdumonde
      Posted at 13:16h, 09 février Répondre

      Ah merci Audrey, j’aime bien cette idée de pays lointain, mais dans ce coin là, il y a vraiment des fois où l’on se croirait en Asie ou bien dans les Carpates. Merci pour ton commentaire 😉

  • Lauriane
    Posted at 01:04h, 15 février Répondre

    Ces montagnes <3 Tu l'aimes tant cette brume que je ne sais si je dois dire que j'ai eu "la chance " de voir souvent le Pays Basque sous un beau soleil, même à Toussaint. Belle promotion pour l'intérieur du pays qui malgré sa côte magnifique, cache des coins non moins parfaits
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    • retourdumonde
      Posted at 13:48h, 15 février Répondre

      Ah mais c’est un peu mon combat, montrer que le Pays Basque ce n’est pas que la côte, que le surf et autre poncif parfois trop récurrent, mais que l’intérieur comme tu dis, est un coffre à trésors qui ne demande qu’à être découvert. C’est un coin d’ailleurs que j’ai la chance de connaitre par toutes les saisons et dont je ne me lasse jamais ! Merci pour ton message Lauriane 😉

  • Larrosari
    Posted at 18:21h, 03 mars Répondre

    Vous êtes les deux toujours aussi doués pour raconter et montrer !! L’histoire de ta famille est touchante, le temps apportera peut-être encore quelques réponses ?

    • retourdumonde
      Posted at 19:03h, 04 mars Répondre

      Merci beaucoup, vous savez que vos messages et vos commentaires, surtout à propos du Pays Basque sont pour moi, pour nous, toujours importants et toujours touchants. Pour ce qui est de mon histoire, de celle de ma famille, malheureusement le temps passe, et j’ai bien peur qu’il soit de plus en plus difficile de trouver des réponses. 😉

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