13 Déc D’Aizkolegi au Baztàn, dans la vallée des ombres
Suggestion d’accompagnement sonore :
Bernice Johnson Reagon & Sweet Honey in the Rock – Go With Me To That Land (Folkway Records – 1965)
Cette chanson requiert toute la douceur nécessaire pour apprécier les lieux, l’atmosphère de cet article. La voix suave de Bernice Johnson Reagon conjugué à ce titre qui sonne comme une invitation, tout y est.
Couper, déconnecter, presque fuir pour oublier. Quand les choses vont de travers, que les signaux d’alerte sont au rouge, il faut apprendre à s’écouter, apprendre à se ranger sur le bas-côté, pour souffler, se recentrer. A force de vadrouilles, la vallée du Baztàn est devenu ma zone de confort, le corps de verdure où j’aime me nicher pour faire le point. Novembre avait sonné le glas, il fallait qu’on récupère, qu’on se pose pour réfléchir. Il fallait que j’arpente de nouveau, pour la énième fois les contreforts de cette vallée des ombres, pour reprendre des forces et avancer.
Je n’écrirai jamais assez sur cet endroit, je ne trouverai jamais les mots pour décrire à quel point cette vallée me touche, me malmène, m’attire, m’intrigue. Là tout de suite, je n’avais qu’une envie, c’était d’être là-bas. On est descendu sans programme, à l’envie, sans se presser. On a utilisé un peu de notre quota de jours pour prendre du temps en famille, le temps de ne rien faire, de bouquiner, de se balader et de clôturer une journée par un chocolat chaud, le temps de bavarder, d’échanger, le temps de vivre tout simplement. Et puis vint le temps où l’on s’est retrouvé seuls, avec la route en face, rien que pour nous.
On a filé droit comme souvent, sur ces lignes noires de bitume familières, que je retrouve avec toujours autant de plaisir, sans jamais me lasser. Aidés d’une carte élimée à force d’être pliée et dépliée, on a tenté de trouver un chemin à travers les rues étroites d’Urdax. Urdax, j’aime y revenir parce qu’un petit morceau de l’histoire familiale y est liée, j’y cherche une trace depuis des années sans jamais vraiment la trouver, alors j’y retourne sans cesse à la recherche d’une pièce de puzzle que je désespère de trouver un jour.
On est remonté par le nord, enquillé les petites routes en lacets qui s’enfoncent aux portes du Parc de Bertiz. Des gens postés sur les hauteurs de la route, des gars en chasubles orange fluo on commencé à nous interpeller. Et puis on a vite compris que nous étions en plein milieu d’un rallye automobile qui devait se courir aujourd’hui. On ne savait pas quand, on ne savait pas exactement où. Mais aucun des garçons de course n’agitait ses bras au milieu de la route pour nous arrêter.
Le doute s’est mis à nous démanger. Et si nous nous retrouvions au beau milieu de la course, chassés par les concurrents ? Au 20e garçon de course croisé, on a sauté sur les freins, et dans une mélange entre du français, un soupçon d’espagnol jamais étudié et une pincée d’euskara appris sur le tard, on s’est renseigné. Enfin on a tenté.
La pendule de la voiture indiquait 12h50. On nous a dit que la course partait d’Urdax à 12h30. Une goutte de sueur a commencé à couler le long de mon échine. Nous qui voulions prendre notre temps, telle une proie chassée par des fauves, on a bouffé la route en ni une ni deux, se prenant à notre tour pour des pilotes. Aucune échappatoire sinon la route tracée pour les concurrents. On ne voulait qu’une chose, se sortir de là pour arriver à notre point d’arrivée prévue, un virage parmi d’autres aux portes du Parc de Bertiz.
Gauche, droite, puis ligne droite à fond, attention épingle, la ligne d’arrivée enfin ! On s’est sorti de cette galère, on s’est posé sur un morceau de prairie en bord de route. Inspirer, expirer. Nous nous étions sorti de cette galère, nous pouvions désormais souffler, casser la graine et surtout se poser la question d’où nous étions tombé.
Après avoir réussi à se situer sur une carte et s’être rassasié, nous reprenons la route pour se rendre compte que nous ne nous trouvions pas du tout là où on était censé être. Un beau bordel, le tracé obligatoire de la course nous avait totalement désorienté.
Finalement on a réussi à retrouver nos petits, à enchainer les quelques kilomètres et à trouver le bon virage avec le départ de la rando.
Le but ? Le Palacio de Aizkolegi qui siège sur la montagne éponyme. La journée est bien entamée quand nous nous attaquons au sentier. Tard, hors saison, nous sommes seuls pour embrasser la beauté du Parc de Bertiz.
Les premiers mètres se font dans une nature qui donne à observer ses plus belles robes automnales. Gorgée par les pluies récentes, la mousse s’en donne à cœur joie pour s’enrober autour des racines et des branches dans une représentation charnelle voir presque sexuelle, tant les deux matières ne semblent faire qu’un même ensemble amoureux.
Ici, les racines ont des allures humaines, on pourrait inventer mille légendes. On semblerait presque avoir figé des scènes de vie. Les carcasses s’entremêlent, les arbres si particuliers, comme ceux que l’on retrouve à Gorbea, plus au sud de la province d’Araba, ressemblent à des poings aux longs doigts crochus.
Le chemin, une longue et harassante pente raide qui grimpe en continu, nous casse les jambes, nous fait suer comme dans un sauna et fait grimper le palpitant à des chiffres anormaux. Je peste contre une condition physique d’un citadin moyen, incapable de fournir un effort correct quelques semaines par an dans l’année. Le visage rouge, le pas fatigué et les bras flageolant. On fait peine à voir mais c’est le cadet de nos soucis.
La forêt autour de nous est tellement belle, qu’elle nous semble vivante. J’entendrais au loin le sifflement caractéristique du Basajaun, le seigneur de la forêt, que je n’en serais pas surpris. Tandis que le mont Aizkolegi et ses 842 mètres de hauteur se rapproche petit à petit, je reste plusieurs minutes à admirer une souche qui, à mes yeux, ressemble à un loup figé dans une position alerte. Mon esprit me joue des tours, mon cerveau se raconte des histoires. Mais après tout, je suis aux portes du Baztàn, là où les mystères et les légendes sont bien plus vivants qu’on ne le pense.
Enfin le Palacio de Aizkolegi s’offre à nous. Enfin presque. Nous sommes devant, ce qui devait être la maison du gardien. De part et d’autres, deux énormes panneaux nous interdisent l’accès. J’ai découvert cet endroit au cours d’une veille sur internet, des photos d’une sortie d’école pique-niquant au pied du Palais. Je n’avais jamais entendu parler de cet endroit. Du coup, je me vois mal abandonner ici, sans m’être approché de plus près.
Entendons nous bien, c’est à nos risques et périls que nous attaquons le côté de la butte, en prenant un soin démesuré à regarder à droite, à gauche, mais surtout au-dessus de nous, qu’aucun morceau de ciment ne nous tombe sur la trogne. Le Palacio d’Aizkolegi est une ruine, un reflet triste du temps passé et sa lente décomposition est une réalité.
Mon espagnol est quasiment inexistant, mais de ce que j’ai pu en lire, ce Palais fût construit par Don Pedro Ciga Mayo, dernier Seigneur de Bertiz. Par amour, il offrit cette demeure de villégiature à sa femme, Dorotea Fernandez. Une drôle de bâtisse, qui ne ressemble à aucune autre dans la région. Don Pedro a fait fit de l’architecture navarraise, pour construire une sorte de chalet suisse au toit de tuiles peintes qui me rappelle le vieux Budapest. A sa mort, c’est tout le parc qu’il léguera à la Diputacion Foral de Navarra, avec une seule condition, conserver le domaine tel quel.
La puissance et la force de ce palais, c’est le balcon qui court tout le long de la demeure pour venir mourir sur une terrasse, où la vue vous saute à la gueule et vous prend les tripes. Un infini horizon se dessine alors face à nous. Au loin la vallée du Baztàn, les contreforts du Kintoa. Une vue époustouflante que je fais mienne, et que j’ai jalousement envie de garder secrète pour pouvoir la décrypter millimètre par millimètre.
Voir ce Palais à l’abandon me peine, tout comme m’avait peiné de voir abandonnée cette grande demeure dans la Sierra de Urbasa. On pourrait le remettre sur pieds, en faire un centre de conservation du Parc, un lieu de culture, d’échange, un lieu d’histoire, de transmission sur l’histoire de la vallée. Au lieu de ça, il tombe en loques, graffité de centaine de noms d’amoureux transis, de date, de noms de villes. La nature le recouvre petit à petit, fanant un peu plus son faste.
Comme souvent quand l’histoire me saute à la gueule, je n’ai pas envie de décrocher, j’ai du mal à partir et lâcher ce lieu. Je veux le comprendre, le décortiquer, l’analyser, imaginer ce qui a bien pu s’y passer, me reconstruire les souvenirs de l’endroit.
Mais il faut bien se résigner à partir. Nous attaquons donc le chemin du retour, laissant la silhouette du Palacio disparaître petit à petit dans notre dos. Après quasiment une heure de descente au cœur de la forêt, et alors que le jour décline et qu’une fine bruine se met à tomber, nous revenons à notre point de départ.
Nous quittons Bertiz pour retourner dans le Baztàn. Je fais un crochet par Arraioz pour enfin prendre le temps de m’approcher du Jauregizarrea, cette vieille bâtisse au petit toit carré, typique du Baztàn. Il est tard, le portail est fermé. Cette belle et antique maison, renferme pourtant un lourd passé et une sombre histoire. Ici, comme dans le nord du Pays Basque, la chasse aux sorcières a marqué l’histoire des familles du Baztàn. Au début du 17e siècle, ils sont peu à avoir échappé aux accusations de sorcellerie, bien souvent le fruit de querelles de familles, que des ecclésiastiques aveuglés par la foi utilisaient comme prétexte. Dans cette tour Jauregia, nombreuses furent les femmes torturées jusqu’à obtention d’aveux farfelus.
Mais ne dit on pas dans le Baztàn à propos des sorcières : « Direnik ez da sinistu bear, ez direla ez da esan bear« , « Il ne faut pas croire que ces êtres existent, il ne faut pas dire qu’ils n’existent pas. ». Les légendes ont la vie dure dans le coin, et on ne rigole pas avec.
On quitte Arraioz, pour faire un dernier arrêt à Iturita. La nuit tombe, et les ombres nous enveloppent. Nous déambulons sans but dans les ruelles de la ville sous une lumière bleue pleine de mystère, pour trouver un ancien palais seigneurial et une église, éclairée comme un phare au milieu de la brume.
Histoire de bien couper les ponts et de s’isoler pour souffler, avant de partir on avait décidé de passer une nuit dans le Baztàn. Au fond de moi j’en rêvais. A force de recherches on a trouvé une Landetxea, un gîte rural, perdu, au fond d’une route sans nom, au fond d’une piste qui s’arrête. On a donc pris les chemins de traverse au cœur de la vallée des ombres, alors que le brouillard, avec légèreté, nous enveloppait de son voile de tulle. Je n’ai pas pu m’empêcher de m’arrêter pour respirer à plein poumons cette atmosphère si particulière et tenter de la ressentir de tout mon être.
Au cœur de la nuit, on s’est enfoncé. A la lueur des phares, nous avons roulé. La route s’est transformé en piste, et sans trop savoir si nous étions perdus, nous nous sommes engagés sur une fin chemin de terre qui contournait une colline d’où, au loin brillait quelques lueurs. Urruska Landetxea, il était là mon royaume pour une nuit, dans cette vieille borda au parquet lustré par les siècles, tordus par le poids des générations.
Dedans nous étions au chaud, près de la cheminée, regardant les tranches des livres de la trilogie du Baztàn de l’écrivaine Dolorès Redondo, elle qui a tant fait, sans le savoir, pour tourner le projecteur sur cette vallée perdue. Il y avait des éditions en toutes les langues, du suédois au russe, en passant par l’allemand. Tandis que nous dégustions un délicieux repas chaud, maison, confectionné simplement par l’andere etxea, la télé, bloquée sur eitb déroulait une partie de main nue. Dehors la vallée s’était recouverte d’ombres, la pluie s’était remise à tomber. J’étais le plus heureux des hommes.
Nikon D610 | Minolta SRT-101 & Kodak Colorplus 200 | Yashica Mat 124-G & Kodak Portra 400
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