La Skyline Trail, sur le toit de Cape Breton

La Skyline Trail, sur le toit de Cape Breton

Suggestion d’accompagnement sonore :

Taylor Mitchell – Love & Maple Syrup (Self-released – 2009)
Chanteuse canadienne méconnue, choisir une chanson de Taylor Mitchell était comme une évidence, un hommage, mais vous comprendrez plus loin pourquoi.

Si la Cabot Trail était depuis longtemps sur mon radar des plus belles routes à parcourir comme un clin d’œil indécent à l’amoureux du bitume que je suis, la Skyline Trail elle, m’était totalement inconnue. Carte de visite de la Nouvelle-Écosse et plus particulièrement du Cape Breton Highlands National Park, cette fameuse rando que l’on voit partout, tantôt sous un coucher de soleil trop saturé en couleurs pour être vrai ou bien terni sur les cartes postales kitchissimes des stations service. La Skyline Trail est un must-do, un must-see, un must-toutcequevousvoulez, reste que cette boucle de quelques 7km sait dévoiler ses charmes avec parcimonie pour, dans un élan final vous propulser sur le toit de Cape Breton, là où l’horizon ne s’arrête plus.

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J’avais beau avoir lu Journal des Canyons d’Arnaud Devillard il y a bien longtemps, j’étais donc censé savoir qu’une entrée dans un Parc National en Amérique du Nord, est obligatoirement synonyme de passage en caisse, de remise de cartes, de prospectus, de passage par la boutique de souvenirs. Impossible de passer à côté du panneau  Purchase Park Pass, et pourtant j’étais déjà prêt à avaler les premiers kilomètres du Parc jusqu’à Cape Rouge. Il a fallut que Cécile me balance un bon coup de coude dans les côtes pour revenir à une réalité bien plus terre à terre. J’avais beau avoir potassé avant de partir, j’avais dû clairement manquer ce chapitre. Je n’avais aucune idée de combien payer ni même de combien de temps nous aurions besoin. Il a fallu faire des calculs, des prévisions, des supputations, des additions et les maths et moi ce n’est pas mon fort.

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On s’en est donc remis aux mains expertes, enfin aux conseils experts de notre vieille demoiselle de l’accueil. Le portefeuille délaissé d’une quinzaine de dollars canadiens, et après avoir écumé la boutique de souvenirs en plein réassort – grosse promo sur les guides aux couvertures surannées – on est ressorti les poches pleines d’allumettes à l’effigie des Parcs Nationaux du Canada, prêts à enquiller les routes de la Cabot Trail.

Passé les Wahou, P’tain qu’c’est beau et autres Wowowowoooooo, on a roulé à l’ombre de la fameuse French Mountain, traversé les plaines du village aujourd’hui disparu de Cape Rouge – nous retrouverons d’ailleurs sur une carte postale ancienne en rentrant exactement le même point de vue -, pour nous arrêter sur le parking au départ de la Skyline Trail. Enfin, This is it, comme diraient nos amis anglophones.

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Dehors la température avait décidé de faire un saut de chute libre, perdant au passage une bonne dizaine de degrés pour titiller les limites du négatif. Un vent à 3°c venait me rougir les oreilles pendant que je regardais avec l’admiration d’un gamin de 3 ans nos premières plaques de neige à l’abri des sapins.

On a profité de la dégustation de nos casse-dalles pour potasser la brochure remise à l’entrée du parc. Cette brochure c’est votre sauf-conduit, le règlement intérieur que l’on signe à chaque rentrée scolaire. Ces trois volets c’est l’assurance de rentrer chez vous en un seul morceau. Keep it wild, keep it safe. Édité en anglais et en français, c’est elle qui vous explique comment réagir si vous croisez ours, orignaux ou coyotes.

Usant à outrance de points d’exclamations et de majuscule, si vous avez une bonne mémoire, vous voilà donc parés à affronter la faune locale si jamais vous croisez sa route, ce que personne ne vous souhaite. Bon, le truc c’est qu’une fois qu’on était lancé sur la piste, j’avais déjà tout oublié, enfin disons que j’avais un peu tout mélangé, fallait-il attaquer l’ours ou faire le mort avec le coyote, fallait-il se cacher de l’orignal ou au contraire lui jeter des pierres. Tout s’était mélangé, c’était un beau bordel dans ma caboche, et quand en plus, au bout des premiers 500m vous croisez votre premier panneau précisant « Attention, présence de coyotes », vous regrettez salement d’avoir passé votre scolarité au fond de la classe près du radiateur. Alors on a continué la rando en se disant que l’on verrait bien en temps voulu.

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La journée était sur le déclin, on a vite oublié le prospectus, et on a commencé à trouver notre rythme, celui des yeux et de celui de nos pas. Gardant les yeux bien ouverts à droite et à gauche on a dégusté comme du petit lait les magnifiques paysages que peut offrir cette boucle de 7km. Au milieu d’une nature un peu brûlée par les fraîcheurs d’un automne semblable à nos hivers, on était comme des mômes. Une rando salutaire après plusieurs jours de route. Un moment de paix, de plaisir. Le Cape Breton Higlands National Park est une beauté de la nature comme j’ai rarement pu observer, hormis la Cabot Trail qui le traverse on a très vite l’impression d’être des naufragés au milieu d’un océan de verdure à la dérive.

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La piste est relativement facile, tantôt faite de terre et de cailloux, tantôt sur des pontons surélevés comme déjà rencontré à Pomquet. Préservant ainsi intégralement la flore de tout passage humain. Le parc est aussi un lieu d’expérimentation, d’essai, on traversera par exemple deux exclos, c’est comme des enclos sauf qu’au lieu d’inclure, cela exclut. Des scientifiques ont mis en place ce système pour observer l’évolution de la flore si celle-ci ne se trouve pas en présence d’orignaux. Lorsqu’on pousse la porte de ces exclos, nous chantons à tue-tête la musique de Jurassic Park, tant on a l’impression de pénétrer dans l’enclos à T-Rex. Pas de grognement, pas de trace de présence préhistorique, on peut donc y aller.

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Arrivés à la presque toute fin de la première partie de la boucle, un premier point of view nous en balance plein les mirettes. Feu d’artifice de couleurs, nous restons coi devant tant de beauté. De l’argentique au numérique en passant par le téléphone et après avoir passé plusieurs dizaines de minutes à observer, m’imprégner, je déclenche avec tout ce qui me tombe sous la main, ne voulant pas oublier la beauté des lieux.

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Et puis arrive enfin le ponton de bois, celui que l’on voit partout, sur toutes les photos, dans tous les guides, ce grand trait de bois qui s’étire vers l’infini et dont on n’en voit pas le bout. Plusieurs milliers de lattes de bois posées par l’homme sur la crête d’une montagne. Des bancs disséminés ici et là permettent de reprendre son souffle lorsque le vent souffle tellement fort que l’air vient à manquer. Tenter de communiquer ou de lâcher un Wooooh c’est beau, revient à faire de l’apnée tel Jacques Maillol dans le Grand Bleu.

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En contre bas des montagnes on voit se dessiner des petits serpentins qui luisent, la route se confond avec les ruisseaux, on perd tout repère, on a changé de planète, c’est sûr. Les mains bleuies, les oreilles rougies et les joues rosies, on est là comme deux clampins s’abreuvant de la vue jusqu’à l’enivrement, jusqu’à avoir la tête qui tourne.

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Je regarde partout, je plisse les yeux à m’en faire mal, espérant apercevoir sur l’horizon un dos ou deux d’une baleine perdue en route, mais rien. Le paysage me suffit. Mais bon je n’aurais pas été contre apercevoir une baleine. On rebrousse le chemin du deck view, et on se pose à l’abri du vent sur les petits bancs le temps d’avaler un petit goûter.

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En attendant, je me balade sur le chemin qui permet de faire la boucle. Je m’avance tout guilleret et puis j’entends du mouvement dans les fourrés. Je me stoppe, dans ma tête défile toute une série de diapo en accéléré. Je revois les trois pages du livret, mais je ne sais plus, je ne sais pas. On fait quoi, avec qui déjà ? Courageux mais pas téméraire – désolé de casser un mythe – je fais marche arrière à reculons m’éloignant de la zone du bruit et fait part de ma courageuse aventure à Cécile. On en rigole. Sauf que – il y a toujours un sauf – en préparant ce papier, j’ai appris qu’il n’y a pas si longtemps, en 2009, une chanteuse canadienne assez connue, du nom de Taylor Mitchell, se baladant ici entre deux concerts, s’était fait dévorer par un coyote le long de cette même Cabot Trail. Alors tout de suite ça fait un peu moins sourire.

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On a rebroussé chemin, un peu sur nos gardes jusqu’à ce qu’on croise un groupe de français nous signalant la présence d’orignaux à la sortie d’un exclos. J’étais comme un gamin, tout content, j’ai mis l’appareil en silencieux, j’ai armé mon argentique dans lequel il ne me restait qu’une seule photo, j’ai mis mon téléphone en silencieux. On était prêts : et en effet à la sortie d’un exclos, une mère et ses deux petits.

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Prudemment et respectueusement on a longé les grilles de l’exclos, prenant garde à bien marcher sur les cailloux pour éviter de dégrader la flore, et, à pas feutrés on s’est approché tout doucement, calmement, sans déranger. Leurs belles gueules toutes rondes fondues dans le paysage on aurait presque pu passer à côté. Orignal, ce mot amène toujours quelques sourcils relevés en France lorsqu’on en parle. Désignant l’élan au Canada, orignal vient du basque oreinoreinak au pluriel – qui veut dire cerf, biche ou renne. C’est sans doute les basques, les pêcheurs installés dans le coin qui propagèrent le mot dans l’Amérique francophone, depuis il est resté.

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On est resté là, à observer, jusqu’à ce qu’un autre couple arrive, suivent le même chemin que nous le long de la barrière, mais le silence en moins et sans la jugeote de regarder où il marchait, tentant de faire un selfie avec l’orignal en arrière-plan. C’était too much, on est partis. J’avais la banane, j’avais vu des orignaux, mes orignaux. Il ne m’en fallait pas plus.

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Les jambes lourdes d’une bonne fatigue on a avalé les derniers kilomètres jusqu’au parking, éreintés mais fiers d’avoir pu marcher sur le toit de Cape Breton. Les paysages de la Skyline Trail, en automne sont de ceux qui vous marquent et qui restent assurément gravés au fond de votre mémoire. On a repris la route à la nuit tombée, le thermomètre avait encore chuté, pour finir par se poser dans un campground d’où, au loin, on entendait les coyotes hurler à la pleine lune. Tout un monde.

PS : Les photos carrées ont été prises avec un Yashica Mat 124-G et un rouleau de Fuji Pro 400H.

13 Commentaires
  • A.
    Posted at 11:59h, 01 mars Répondre

    Un mot : dépaysement !! Merci !

  • Virginie
    Posted at 13:37h, 01 mars Répondre

    Ahah ! L’histoire des préconisations en cas de rencontre avec la faune locale, ça me rappelle mon passage à Yosemite, où ils vous expliquent que si vous croisez un cougar il faut se faire le plus grand possible et lui lancer des pierres (comment ramasser des pierres sans à un moment ou à un autre ressembler à une petite proie toute fragile, je cherche encore l’astuce !) ajoutant à la fin que s’il attaque, il ne faut surtout pas fuir et comme ils disent “fight back” (mes poings contre ses griffes… oui oui oui…) !

    En tout cas très bel article et ces paysages, wahou !!!!

    • retourdumonde
      Posted at 15:56h, 01 mars Répondre

      C’est visiblement la même précaution à prendre face aux coyotes où plutôt aux “coywolves” croisement entre le coyote et le loup. Merci pour ton passage Virginie 😉

  • Stephane
    Posted at 13:57h, 01 mars Répondre

    Superbes photos, ça donne vraiment envie; c’est impressionnant
    Stephane Articles récents..Que faire à Manchester ?My Profile

  • Tiphaine
    Posted at 15:04h, 02 mars Répondre

    C’est incroyable !! De très belles photos !

  • Amélie
    Posted at 19:39h, 03 mars Répondre

    Une série de photos à tomber, comme d’habitude !!

    • retourdumonde
      Posted at 12:46h, 05 mars Répondre

      Merci Amélie, il faut dire que Cape Breton est particulièrement photogénique 😉

  • tartinecuisine
    Posted at 21:36h, 04 mars Répondre

    Magnifique, ça donne envie tout ça !

  • Thibault B&W
    Posted at 11:50h, 18 mars Répondre

    Wahou !! Magnifique tout ça !
    C’est marrant que vous ayez choisi de visiter cette partie méconnue du Canada. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’aller plutôt là que de visiter le Quebéc, par exemple ?
    En tout cas ça donne sacrément envie !

    • retourdumonde
      Posted at 11:12h, 21 mars Répondre

      Merci Thibault !
      C’est une très bonne question, sans doute l’envie d’aller voir ailleurs, de ne pas commencer par le même bout que tout le monde, d’aller jeter un œil à cet endroit dont personne ne parle. Et puis la Cabot Trail était depuis longtemps dans notre liste imaginaire des road trips à faire. 😉

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