Orgambide, le col blanc

Orgambide, le col blanc

Je m’étais promis de retourner à Harpea, parce ce que cet endroit était devenu un coup de cœur, un vrai, un qui vous fait arrêter le temps, et qui vous chamboule les sentiments et les sens. Alors quand après la Sierra de Urbsasa, on s’est rendu compte que la neige était au rendez-vous sur les hauteurs du relief, la question ne s’est même plus posée, il fallait qu’on y retourne.

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On a démarré tranquillement la journée, l’attaquant par une vieille habitude de mon enfance, un passage à la brocante d’Ahetze, déambulant de stand en stand, de bibelot en bibelot les yeux encore collés par la nuit trop courte. Les langues se mélangent, l’espagnol côtoie le basque et le français, les négociations sont tout aussi sérieuses que les blagues lancées à la volée.

On a laissé derrière nous ce joyeux bazar sans avoir déniché l’affaire du siècle, puis la route nous a embarqué avec elle, jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port d’abord, et sur cette fine langue de bitume qui mène dans les tréfonds des montagnes ensuite. La route encore en mémoire de notre passage l’année d’avant. Bref tout allait bien, jusqu’à ce que l’on tombe sur un imprévu, cet imprévu dont j’ai parlé dans l’article sur la Sierra de Urbasa. Nouvelle donne, nouvelles cartes. Alors que nous allions nous lancer dans les derniers virages menant au col d’Orgambide, la route s’arrêtait devant nous. Interdiction d’aller plus loin, demi-tour et circulez il n’y a rien à voir.

Une barrière en métal nous faisait face. « Route Barrée ». Avec le papier de rigueur de la préfecture, du maire, et de toutes les huiles administratives bien décider à m’empêcher de voir Orgambide et Harpea sous son manteau blanc. On est resté là, planté au milieu de la route sans trop savoir quoi faire. Est ce que c’était du bluff, est ce que la route était vraiment impraticable ? Comment le savoir… Alors pour se laisser le temps de la réflexion, on a repris la voiture, on a contourné les barrières et on a avancé d’une cinquantaine de mètres, pour se poser sur le côté de la route afin de casser la graine. On réfléchit mieux le ventre plein.

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Avec la perspective des montagnes blanches se dessinant au loin, le sandwich maison en bouche, on a commencé à retourner la carte dans tous les sens. Sauf que voilà, l’idée de départ était de se rendre à Orbaitzeta, de l’autre côté de la frontière. Nous couper la route à cet endroit là, nous obligeait à faire un détour de près de 90 kilomètres. Déçu comme un môme n’ayant pas reçu son vélo tant attendu à Noël, j’ai essayé de chercher une solution, de peser le pour le contre de quand même s’engager sur cette route barrée, de faire la part des choses entre la raison et le désir. Et puis la solution nous est apparue sous la forme d’une Citroën C15 blanche, le cul au ras du sol, avec trois bergers à l’intérieur. Presque un mirage.

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« Bonjour, vous pensez qu’on peut monter jusqu’à Orgambide ? Parce qu’on a vu l’arrêté préfectoral » « Ah mais oui oui vous pouvez monter jusque là-haut, pour Harpea c’est plus compliqué à cause des congères. Ne vous occupez pas de l’arrêté, c’est juste que l’administration n’a pas envie de prendre de risque, ni d’assumer ses responsabilités » Et voilà comment en quelques phrases, le moral est revenu au beau fixe. On a laissé s’éloigner notre mirage, on a avalé les dernières miettes et on s’est remis en route.

Un peu hésitant à chaque virage, avec une voiture clairement pas fait pour se genre de route, on a commencé à serrer les fesses quand on a vu que la route petit à petit disparaissait sous la neige, mais quand on est arrivés là-haut, la gifle a fait son effet. On avait encore en mémoire les paysages de l’année d’avant, et je vous conseille d’aller y jeter un œil avant de continuer la lecture de cet article, juste pour comparer.

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Le vert avait fait place à des noirs, des bruns, des blancs, des ors et des beiges. Je ne peux même pas dire que c’était plus ou moins beau, c’était juste différent. Cette vue m’a comblé et je m’en serais bouffer les doigts de ne pas avoir pousser plus loin. Sous le regard des vautours, et sous le silence bruyant de la nature, on a gardé les yeux grands ouverts.

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On n’a pas revu nos messies, seulement un groupe d’amis marchant le long de la route appréciant la rigueur d’un vent d’hiver implacable et généreux dans l’effort. Nous on a continué la route jusqu’au croisement, là où part la route qui n’existe pas (voir épisode précédent) et où continue la route vers Harpea. Nos messies ne nous avaient pas mentis. Le bitume s’était fait gommer, la neige avait repris le dessus, aucune trace de voiture, c’est donc que les 3 kilomètres restant vers Harpea étaient vraiment impraticables.

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Laissé libre de vadrouiller, on a profité du paysage, des nuages gris carbone, chargés de neige, d’une lande blanche qui donnait des tons rosés à ce ciel d’hiver. Ce premier plan d’un blanc linéaire, suivi d’un second montagneux, avait des allures indéniables d’Islande ou de Norvège.

Le refuge d’Orgambide avec son toit de tôle verte était la seule tache de couleur de ce paysage quasi monochrome. La cheminée ne semblait pas sortir quelconque fumée, signe qu’aucun marcheur ne s’était décidé à tenter une sortie dans ce paysage grandiose. Chaque endroit où se posaient nos yeux donnait à voir une vision minimaliste.

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On a tenté d’aller jusqu’à Harpea, pour voir si c’était possible, alors on a remonté le chemin vierge de toute trace humaine, mais au bout de quelques centaines de mètres on est tombés sur une congère infranchissable. La neige avait coulé des à-pics rocheux, laissant à peine une dizaine de centimètres entre le vide et les deux mètres de poudreuse. On a essayé, mais on n’a pas voulu jouer avec le feu, alors à contrecœur on a fait demi-tour. Harpea ne s’offrirait pas à nous de nouveau. Au loin des montagnes inaccessibles, dangereuses sous des nuages de plus en plus noirs se dessinaient.

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Les oreilles rougies par le vent froid et alors que la neige s’était remise à tomber, on a regardé vers la suite de cette aventure, chaque pied dans un pays différent, on a regardé les deux traces noires du bitume s’enfoncer vers l’inconnu.

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Après plusieurs mois d’attente, j’allais enfin emprunter cette fameuse route mystique, cette route inexistante sur aucune carte, cette route vers un ailleurs que je ne connaissais pas. On a changé de pays en un tour de roue pour s’enfoncer vers Orbaitzeta, vers l’inédit.

3 Commentaires
  • mzelle-fraise
    Posted at 14:54h, 05 mai Répondre

    Une sorte de bout du monde ^^ c’est fou comme c’est différent de votre précédent article !

    • retourdumonde
      Posted at 18:34h, 15 mai Répondre

      « Mon » petit bout du monde ! 😉 Et là on en re-re-revient, c’était encore différent, plein soleil, une explosion printanière de fleurs, je suis vraiment amoureux de cette morceau de montagne.

  • May
    Posted at 09:52h, 12 août Répondre

    C’est fou ce que c’est différent de ton premier article sur le sujet: la neige transforme tout le paysage, hallucinant!
    Préférence pour la neige du coup, pour son atmosphère si spéciale <3
    May Articles récents..Rome Jour 1 – Piazza di Popolo et la Villa BorgheseMy Profile

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