Une rencontre en or à Rio de Onor

Une rencontre en or à Rio de Onor

Suggestion d’accompagnement sonore :

Amália Rodrigues – Uma Casa Portuguesa (Columbia/VC – 1953)
Classique parmi les classiques d’Amália Rodrigues, La Reine du Fado décrit très bien en quelques lignes d’un couplet ce qu’on a pu vivre à Rio de Onor : “Dans le confort pauvret de mon foyer, il y a abondance d’affection”

Rio de Onor, c’est avant tout une histoire de rencontre. Une rencontre avec la ruralité, dans le sens le plus noble qui soit, une rencontre avec ce qu’on pourrait appeler une petite bulle temporelle, là où le temps se serait arrêté sans connaître d’évolution majeure. Mais pour nous Rio de Onor, c’est avant tout une rencontre, un moment si particulier, qu’assurément il restera gravé dans nos cœurs et nos mémoires. C’est l’histoire d’une rencontre en or, à Rio de Onor, celle de Donna Rita.

RdM---Featured_RiodeOnorJamais l’expression de bout du monde n’a eu autant de sens. Jamais l’impression d’être ailleurs n’a eu autant de sens qu’en arrivant à Rio de Onor. Le bout du bout, la fin de la route, ou presque, le début d’un autre monde. Niché au fin fond du Trás-os-Montes, blotti dans les contreforts de cette zone rude, dure, qu’est la Terra Fria, la Terre Froide, ce petit village de bois où les maisons sont de guingois mais se maintiennent depuis des siècles possède un je-ne-sais-quoi qui ne se décrit pas. Rio de Onor a un air des Aldudes, sans doute ce côté confetti jeté au bout d’une frontière que l’on imagine friable et totalement dénuée de sens pour les gens d’ici.

L’on peine à s’imaginer qu’à 14km au Nord se trouve une énorme autoroute qui traverse le Portugal de part en part dans l’indifférence la plus totale, pour rejoindre l’Espagne voisine, qu’au sud en à peine 30 minutes vous êtes à Bragance, grosse ville historique du Portugal. Non, on ne peut se l’imaginer.

RdM_POR_RioDeOnor_1RdM_POR_RioDeOnor_2Petit îlot perdu au bout d’une route pavée qui traverse la frontière espagnole en à peine un pas. Cette double culture, cette double nationalité, n’a pas manqué de se faire chahuter quand vint le temps des dictatures. Le salazarisme d’un côté, le franquisme de l’autre. Chacun des deux côtés y trouva refuge chez son voisin.

Il faut se poser quelques instants le long des berges de la rivière éponyme au village pour comprendre. Comme lorsque petit on observe une fourmilière, on voit d’abord une personne, puis deux, puis l’on se rend vite compte de toutes ces petites gens – dans le bon sens du terme – qui sillonnent les rues de ce village. Les vieilles veuves vêtues de noir, les hommes en chemise à carreaux qui, d’un pas chargé de la lenteur des aïeux, sillonnent les rues pavées en direction de l’unique café du village. La faux sur l’épaule, la bêche dans une main et le parapluie dans l’autre. Quand ce n’est pas le mulet ou le vieux bourrin communal fatigué d’une dure journée de labeur que l’on croise rentrant des champs.

RdM_POR_RioDeOnor_3RdM_POR_RioDeOnor_16RdM_POR_RioDeOnor_12Car à Rio de Onor, comme beaucoup de villages ruraux du Nord du Portugal, on partage tout. Le four se veut communal tout comme la forge, les animaux, et même les pâturages et les champs sont communs. Chacun y allant de son moment de labeur pour l’entretenir. La survie et la vie du village repose sur les épaules de chacun. Un sens du partage, de la dévotion et de la communion qui frise l’admiration à l’heure où le repli sur soi devient une norme que l’on aimerait voir oubliée.

Rio de Onor se vit, et il faut s’en délecter. Nous sommes là dans le cœur, le berceau rural du Portugal, à mille lieues des plages bondées de l’Algarve où les touristes en mal d’idée viennent chercher le soleil à bord de vans de location bariolés de publicités. Ici on ne parle pas le portugais, mais un idiome local mâtiné de plein de trucs. Un argot local que l’on ne parle nulle part ailleurs, mélange d’un peu d’espagnol, qui lui-même aurait fauté avec du galicien.

RdM_POR_RioDeOnor_9RdM_POR_RioDeOnor_18On est arrivé au bout de la route, on a cherché la Casa de Onor, où nous attendait un lit chaud et un bon repas. Sauf que voilà, Rio de Onor a beau être un minuscule point sur une carte, il se compose néanmoins d’un dédale de ruelles labyrinthiques difficiles à cerner pour le touriste de passage. On savait qu’on dormait chez Donna Rita, et c’était à peu près tout. Perdus à l’entrée du village, on a tenté le coup, on a passé un coup de bigot, trop proche de la frontière, le téléphone ne savait plus bien sur quel réseau danser. Espagnol ? Portugais ?

Sauf que voilà, malgré toute la bonne volonté que l’on a mise des deux côtés, Donna Rita ne bite pas un mot d’anglais, de français ou même d’espagnol. On a eu beau utiliser une sorte de globish de langues méditerranéennes, à base d’italien, d’espagnol et de quelques mots de portugais, on n’arrivait pas à se comprendre. A force d’essayer, de tenter et de beaucoup rater, ça s’est terminé dans un fou rire général et mutuel des deux côtés du téléphone. Au bout de quelques mouvements de trotteuses, à quelques dizaines de mètres de nous, on a vu sortir un petit bout de femme.

On se comprenait toujours aussi mal, c’était laborieux, mais l’accueil lui était plus que chaleureux. Si Donna Rita avait été une vieille tante, et nous des petits neveux éloignés venus de la lointaine France, la chaleur de son accueil aurait été sans nul doute, similaire. Dans une vieille baraque de bois, où le parquet grince, où les meubles semblent désireux de vous raconter de vieilles légendes, où il se dégage une odeur apaisante, où les couvertures de part leurs volumes semblent prêtes à vous écraser de toutes leur chaleur et où les souvenirs religieux et profanes encombrent chaque petit coin de commode, nous étions bien. C’est sans vous parler du balcon couvert où se trouvent des petits bancs de bois, où il doit faire si bon de s’y poser l’été, afin d’écouter la douce mélodie du Rio de Onor jusqu’à ce que la température devienne enfin agréable.

RdM_POR_RioDeOnor_4RdM_POR_RioDeOnor_5RdM_POR_RioDeOnor_6RdM_POR_RioDeOnor_7RdM_POR_RioDeOnor_8Sans totalement se comprendre, mais chacun de nous voulant poser des questions, entre deux fous rires, on a réussi à expliquer d’où nous venions, où nous allions, qui on était, à quelle heure on voulait manger. Donna Rita nous avait donné la permission de sortir quelques minutes le temps d’arpenter les rues du village. Consigne nous avait été donnée de ne nous pointer sur les coups de 20h.

RdM_POR_RioDeOnor_10RdM_POR_RioDeOnor_11Alors on a arpenté les petites ruelles du village, avec une lenteur apaisante, admirant ces fameuses maisons de bois et de pierre, propres à la région. Tout le poids de siècles nous sautant alors à la tronche. Rio de Onor a un truc, une énergie, un feeling, une vibes qui ne peut pas se raconter. Ça vous prend, ça s’insuffle en vous et vous n’avez d’autre choix que de vous laisser envahir par son atmosphère.

RdM_POR_RioDeOnor_14RdM_POR_RioDeOnor_15RdM_POR_RioDeOnor_19Le linge séchant au-dessus du lavoir, les vieux sortant les fagots de bois, tout ces clichés qui n’en sont pas. En une demi-heure de vadrouille on a dû croiser la bonne moitié du village, on a suivi le bourrin du village, rentré dans son écurie, on a caressé deux ou trois chiens, sentinelles endormies et ayant peur de se faire engueuler on est doucement rentré pour ne pas être à la bourre.

RdM_POR_RioDeOnor_17RdM_POR_RioDeOnor_20RdM_POR_RioDeOnor_25Une fois rentrés, la discussion faite de silences, de questions en suspens et d’élans soudains de compréhensions, a repris. Et sans savoir comment, on a même réussi à parler politique. Par contre on n’a pas encore vraiment compris ce que nous avons avalé au dîner. Comme quoi, ça tient à peu de choses.

Tout ce qu’on a vu c’est Donna Rita casser les braises à grands coups de tison, faire un lit de ces dernières à même le sol, et y poser une grille. On a vu, senti, admiré, les babines humides, une saucisse non identifiée mais faite maison se griller doucement à la chaleur des braises. Le tout accompagné de riz et de pois gourmands – du jardin – tout juste huilés.

Calés comme après un banquet de mariage, on s’est forcé à en reprendre, par politesse. Donna Rita a tellement le cœur sur la main, qu’on aurait été peinés de la contrarier. Tradition oblige, le tout s’est terminé avec un alcool local, fait maison dans l’alambic qui trône dans l’entrée. Un truc à base d’un fruit qui ressemble à de la cerise, et qu’à l’heure actuelle nous cherchons toujours à identifier (PS : Après recherche à notre retour, nous apprendrons que c’était de la Ginjinha, un alcool de cerises griottes, très populaire au Portugal). Ça nous a réchauffé la gorge autant que le cœur.

La discussion a repris de plus belle, on arrivait à se comprendre à 40%. Elle nous a parlé des animaux qui vivent dans le parc de Montesinho, du brame du cerf, des loups, elle nous a conseillé de prendre le frais sur le balcon, de profiter des lumières du soir, et harassés par la fatigue on a été se jeter sous les lourdes couettes en plume d’un lit qui grince.

Après avoir passé la journée à zigzaguer dans le parc, à croiser des villages pour lesquels le mot rural a été inventé, où les gens grimpent à 10 sur un tracteur, où l’on vit d’une terre que l’on tient en haute estime, où les rites païens ne sont pas uniquement quelques lignes jetées dans des guides touristiques et où les fêtes relatives aux sorcières ne sont pas sans rappeler celles du Baztan ou de Zugarramurdi, nous avons plongé dans les bras de Morphée. Nous voulions voir Rio de Onor, Rio de Onor ne nous a pas déçu.

Dans une froide maison de pierre, écrasés par 50 cm de couverture, autant vous dire que la nuit fût sans doute une des plus profondes de notre voyage. Dehors l’air était frais, mais le soleil avait décidé de se joindre au spectacle. Une douche rapidement prise, nous sommes descendus retrouver Donna Rita, pour notre plus grand plaisir.

Généreuse comme savent l’être les anciens, les vieilles tantes, Donna nous a régalés. Pendant que nous découvrions la doce de abóhora, confiture de citrouille relevée de cannelle, et la doce de tomate – la même avec de la tomate-, le fromage frais de brebis, l’excellentissime jambon du Trás-os-Montes, l’échange a repris. Toujours dans ce globish méditerranéen avec, on peut l’avouer, l’aide impromptue de la technologie.

Ça s’est terminé sur le balcon, à siroter le café sous un soleil frais, toujours en se comprenant comme on pouvait, on a parlé vacances, familles, métier, congés payés, de tout et de rien. Je ne pouvais pas passer à côté, alors j’ai demandé, enfin j’ai essayé, de persuader Donna Rita de se faire prendre en photo. Je voulais garder une trace, un portrait, un instantané de ce moment.

RdM_POR_RioDeOnor_22La timidité aidant, elle voulait qu’on soit tous ensemble. Alors on a changé de balcon, je l’ai capturé à plusieurs instants avec mon vieux Yash’, et on a fait une photo de nous trois. Je lui ai promis de lui envoyer, tenant tant à ce que nous restions en contact.

RdM_POR_RioDeOnor_21RdM_POR_RioDeOnor_23Comme avec des bons amis ou un parent éloigné, on a eu du mal à quitter notre nid de Rio de Onor, elle a tenu à nous montrer son antique moulin de pierre qui sied au pied de son potager. Quand elle a appris qu’on mangeait sur la route au milieu de la nature – qui est, elle aussi, son pêché mignon -, elle a tenu absolument à nous remplir notre baluchon de bonne bouffe. Du jambon, du fromage, des fruits frais, du pain frais. Donna Rita ne voulait pas qu’on manque de quelque chose. Un ange gardien de notre road trip.

RdM_POR_RioDeOnor_24RdM_POR_RioDeOnor_26RdM_POR_RioDeOnor_27Sans manquer de se retourner, on a quitté Rio de Onor le cœur gros, la gorge serrée, bien conscients d’avoir vécu une de ces très belles rencontres qui apparaissent dans votre vie comme des instants éphémères.

Nikon D610 | Yashica Mat 124-G – Fuji Pro 160 NPS | Minolta SRT-101 – Kodak Color Plus 200 | Nikon F – Kodak Ektar 100

15 Commentaires
  • Kenza
    Posted at 09:28h, 14 juin Répondre

    Et je finis la lecture le sourire aux lèvres, et le reflet de ce soleil dans les yeux. !

    • retourdumonde
      Posted at 15:52h, 14 juin Répondre

      Merci Kenza, un petit instant de bonheur pour une belle rencontre 😉

  • Anne
    Posted at 12:14h, 14 juin Répondre

    Superbe!!!!!
    Anne Articles récents..Tendance tropicale, jungle, flamants et aras.My Profile

  • LadyMilonguera
    Posted at 12:40h, 14 juin Répondre

    C’est un coin absolument charmant que je découvre grâce à toi…
    LadyMilonguera Articles récents..L’incontournable port de La RochelleMy Profile

    • retourdumonde
      Posted at 16:21h, 14 juin Répondre

      Vas-y, fonce le Nord du Portugal est un très bel endroit 😉

  • Sophie
    Posted at 13:29h, 17 juin Répondre

    Classe cette ambiance ! Et belles photos, l’intérieur de la maison et les ruelles ! Un bout du monde hors du temps surtout ! Question con, la moyenne d’âge de la population, c’est combien environ ? Sérieusement avez-vous croisé des trentenaires ou moins ?
    Sophie Articles récents..Merci pour cet hiver…My Profile

    • retourdumonde
      Posted at 16:10h, 17 juin Répondre

      Merci Sophie ! Alors oui des trentenaires tu en croise dans les villes grandes ou moyennes, mais globalement dans les petits villages ruraux, la moyenne d’âge – sans exagération – tourne plus autour de la soixantaine. Mais je pense que c’est à peu près pareil dans les villages de campagne en France. En tous les cas, ça fait plaisir de te revoir dans les parages 😉

  • Larrosari
    Posted at 19:14h, 19 juin Répondre

    C’est une très belle histoire !

    • retourdumonde
      Posted at 12:47h, 24 juin Répondre

      Merci beaucoup, ça nous fait plaisir de vous voir toujours aussi fidèle 😉

  • Carnet de voyage OmniTerra
    Posted at 14:00h, 23 juin Répondre

    Très bel article et très jolies photos. Le Portugal nous tente de plus en plus. Merci également pour ta suggestion musicale ! ça donne le ton.

    • retourdumonde
      Posted at 16:31h, 24 juin Répondre

      Si vous avez l’occasion d’y aller, n’hésitez pas à vous perdre dans les petits villages du Nord ! 😉

  • Voyage Birmanie
    Posted at 06:56h, 28 juillet Répondre

    Histoire touchante et les photos sont magnifiques

  • Jean-Louis
    Posted at 22:57h, 26 août Répondre

    Je suis passé à Rio de Onor il y a 20 ans environ…. Rien n’a changé! Photos magnifiques, bravo.
    J’ai très envie d’y retourner, après lecture de ce texte.

    • retourdumonde
      Posted at 10:49h, 27 août Répondre

      Bonjour Jean-Louis et merci pour votre commentaire.
      Je pense en effet que ce genre de village, comme Rio de Onor sont coincé dans une bulle d’intemporalité ou la modernité glisse gentiment dessus pour le plus grand plaisir des voyageurs curieux. 😉

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