Olivier Truc nous emmène en Laponie avec le Dernier Lapon

Olivier Truc nous emmène en Laponie avec le Dernier Lapon

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Same, Samis, lapons : il existe beaucoup de termes pour désigner ce peuple ‘’aborigène’’ vivant dans le nord de l’Europe. Mais un seul auteur aujourd’hui pour en parler, nous avons rencontré Olivier Truc, journaliste pour Le Monde, Le Point et passé par Libération . Vivant en Suède depuis une vingtaine d’années, spécialiste des pays Scandinaves et Baltes, il nous livre un polar avec pour décor la Laponie norvégienne et suédoise. Au-delà du roman, il nous fait découvrir des aspects écologiques, économiques et religieux de cette région, méconnus pour nous qui vivons dans des climats plus tempérés.

‘’Le dernier lapon’’ paru chez Métailié Noir, est un polar qui nous emmène dans le Grand Nord avant l’heure écrit par un auteur passionné cette région. 

Rencontre :

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Alors Olivier Truc, je vais commencer très large, je vais vous demander de me rappeler un petit peu votre parcours, pourquoi vivez-vous en Suède et pourquoi les lapons ?

Pourquoi la Suède ? Alors je suis parti en Suède un petit peu à l’aventure, mais avec une idée très précise en tête, puisque j’allais rencontrer une jeune suédoise. C’est donc la raison première de mon intérêt pour cette région. Et je suis parti comme ça, il y a une vingtaine d’années, je m’y suis installé assez rapidement, ne sachant rien de cette région, ne connaissant pas la langue. Du coup j’étais vraiment sans aucun préjugé puisque j’ignorais tout de cette région.
Ce qui a été, je pense, un atout pour moi en tant que journaliste, puisque je me suis imprégné de tout. Je me suis plongé dans les récits, dans les gens, dans les rencontres. Tout y était nouveau.
Et c’est petit à petit que j’ai été amené à m’intéresser aux Samis, qui habitent un peu partout en Europe du Nord, puisqu’ils ne sont pas seulement en Laponie. J’ai rencontré les premiers Samis à Stockholm. C’était au cours d’une élection pour le parlement Sami, et il y avait un bureau de vote car il y en a beaucoup là-bas. C’est comme ça que j’ai rencontré les premiers Sami, et c’est là aussi que je me suis rendu compte qu’ils avaient des gros problèmes même s’il s’agit d’une minorité qui est plutôt bien protégée en Europe du Nord. Ils sont malgré tout exposés à de gros défis et c’est dans ce monde que j’ai voulu me plonger de plus en plus.

Vous avez commencé par des reportages pour la télévision, il me semble ?

Bon je suis déjà un vieux journaliste, ça fait plus de 25 ans que je fais ce métier, donc j’ai fait beaucoup de presse écrite, c’est vrai qu’avant de partir en Suède je travaillais aussi en télévision. Et la télévision m’a rattrapé un peu ensuite quand je suis arrivé « là-haut ». J’ai été amené à travailler sur les néo nazis en Suède, sur ce qu’on appelle « les enfants de Boches », les enfants de soldats allemands en Norvège, sur différentes histoires, et notamment en télé. J’ai donc fait un documentaire il y a quelques années sur la police des rennes qui faisait suite à une série d’articles que j’avais écrit pour Libération sur cette même police, qui se trouve en Laponie norvégienne. Mais la télévision, c’est quelque chose d’important pour moi.

Alors, on reviendra plus tard sur la police des rennes. Vous auriez pu faire un roman, pourquoi avoir fait un polar ?

J’ai fait un polar parce que c’est tombé assez naturellement pour moi, même si au départ je n’étais pas spécialement prédestiné pour faire des romans policiers en tant que journaliste, mais disons que c’est la « matière » que j’avais amassée qui m’a amené assez naturellement vers le polar. A savoir, j’avais donc fait cette série de reportages pour Libération sur la police des rennes, où j’avais suivi des patrouilles de cette police en mission. Et ensuite sur le même thème, un documentaire, diffusé à la télé, où j’avais passé 1 mois et demi à différentes périodes de l’année. En hiver, au printemps, à l’automne, à les suivre en mission en scooter des neiges, à bivouaquer avec eux en pleine toundra par tous les temps, à être vraiment dans leurs pattes auprès des éleveurs. Donc j’avais énormément de choses vécues auprès d’eux et j’avais beaucoup d’histoires que ces policiers m’avaient racontées, que j’avais vécu moi-même par le biais de ces différents reportages. Et c’est donc comme ça naturellement, que s’est imposée à moi la forme du polar. Car même si je n’ai pas traité la Laponie qu’à travers un angle policier, c’est vrai que j’avais une matière très riche, et j’ai voulu y retourner de cette façon.

Alors comment vous l’avez construit, comment vous avez fait vos choix pour construire cette histoire ?

Alors c’est une vaste question ! Je ne suis pas spécialiste de ce domaine, j’ai appris sur le tas. Etant moi-même lecteur de thriller, de polar, c’est vrai que j’aime les intrigues qui sont un peu tordues. J’étais de toute façon guidé par ces personnages de policiers, donc j’avais envie de raconter cette région et ce peuple et c’est vrai que je me suis intéressé rapidement à cette histoire de tambour volé qui me permettait, à la fois de parler d’une activité qui est réelle, à savoir le retour d’objets de culte et culturels en Laponie. Parce qu’il faut savoir qu’il n’y a presque plus de tambours lapons qui existent, il en reste à peine 70 et aucun n’est en Laponie. Donc le retour d’un tambour comme celui-là, est un objet de polémique en Europe du Nord. Donc c’est un angle d’attaque qui m’a intéressé et comme je me suis intéressé beaucoup au domaine des éleveurs de rennes, j’ai voulu créer une intrigue qui mêlait ces différents aspects. Avec en plus, une autre dimension qui est celle de la course aux ressources dans le grand nord. J’ai voulu essayer de faire avancer cette intrigue de façon à ce que l’on découvre cette région et ce peuple.

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Alors en tant qu’auteur de polar, est ce que vous avez des auteurs scandinaves à nous conseiller, est ce que vous en avez lu ?

J’en ai lu, mais comme que je ne les ai pas tous lus, et pas tout, je ne donnerai pas de nom. Mais bien sûr j’en ai lu, j’en lis, et j’en lirais. Bizarrement, je me suis étonné que le grand nord soit si peu utilisé dans le polar scandinave. Il y a Åsa Larsson que vous avez peut-être lu, je crois qu’elle est traduite en français, et qui place son intrigue à Kiruna. Kiruna qui est un peu la capitale de la Laponie suédoise où d’ailleurs quelques scènes dans mon livre se déroulent. C’est une ville absolument fascinante, plantée au milieu de la toundra pour exploiter une mine de fer. Et c’est un endroit qui excite énormément mon imagination, mais je pense que les auteurs suédois sont plus tournés vers le sud, ils préfèrent le soleil sans doute.

Est-ce que vous savez si il y a des auteurs de polars Sames, comme par exemple James Welsch pour les amérindiens ?

C’est une excellente question ! J’ignore totalement…

Ou des auteurs tout court…

Oui des auteurs Samis, il y en a, notamment certains qui ont écrit des livres qui ont fait date. Car il faut savoir que les Samis, et ça été un de leur gros problèmes pendant longtemps, n’ont pas été un peuple de l’écrit, donc ils n’avaient pas de tradition écrite, de transmission de leur patrimoine. Ce qui leur a posé tout un tas de problèmes différents, dans la notion de terre, d’acte de propriété, etc…
C’est une littérature qui est très neuve, mais qui va s’étoffer et je ne serais pas étonné qu’il y ait des auteurs de polars Samis sous peu.

Quels ont été les écrits sur lesquels vous vous êtes basé pour faire votre livre ?

Alors, je me suis beaucoup fondé sur des choses vues et vécues au cours de nombreux voyages. Ce sont mes nombreuses rencontres qui m’ont inspirées. Ensuite c’est vrai que j’ai chez moi une grosse bibliothèque Sami, j’ai beaucoup de documentation, beaucoup de récits. Alors soit ce sont des récits de voyageurs européens ou scandinaves en Laponie, avec le décalage de leurs regards ou alors, ça peut être des voyageurs de la fin du 19ème, avec un regard encore différent. Ensuite j’ai lu beaucoup de livres savants, de livres d’études, notamment sur les tambours. J’ai beaucoup travaillé dessus, puisque pour les besoins du livre j’ai dû dessiner mon propre tambour, qui n’est pas retranscrit visuellement dans le livre puisque la reproduction au début du livre est une reproduction d’un tambour existant. Je me suis vraiment beaucoup renseigné sur les signes, les symboles utilisés par les chamans sur leurs tambours et je lis aussi régulièrement la presse Sami, qui existe en Suédois ou en Norvégien. Donc je nourris en permanence ma connaissance de ce milieu, et puis je m’y rends !

Donc vous n’aviez pas du tout une prédisposition à l’ethnologie et à la mise en avant des peuples autochtones ?

Au départ non, je suis arrivé aux Samis par le biais de l’actualité. Mon premier contact avec eux c’était donc ces élections au parlement Sami, c’était une approche plus politique. Ensuite je me suis intéressé en rencontrant des jeunes Samis, qui m’ont parlé des conflits opposant leur famille d’éleveurs de rennes à des agriculteurs ou des paysans. J’y suis arrivé par le biais d’affaires de justice, de conflits sociaux donc ce n’est pas du tout une approche ethnologique classique, d’abord ce n’est pas mon métier et j’ignore tout de cette approche. Moi j’ai une approche journalistique pour le meilleur et pour le pire. C’est vrai que je me suis passionné pour ces histoires car c’est la façon dont on traite une minorité qui nous renvoie une image de notre degré de civilisation. Ce qui est intéressant avec le peuple same, c’est que les pays scandinaves ont beau aller s’occuper des indiens d’Amériques, ils en oublient qu’ils ont leur propre minorité chez eux qui a beaucoup de problèmes.

Il y a tout ce côté évangélisation protestante qui est très importante dans votre livre, comment vous  êtes-vous renseigné ? Etes-vous aller voir l’église luthérienne en Suède ?

Alors d’abord la scène d’ouverture du livre est inspirée de faits réels, à savoir un chaman qui a été condamné pour blasphème et brûlé vif. Il y a eu beaucoup de procès en sorcellerie en Scandinavie au 17ème siècle. Je me suis donc renseigné, pareil, dans des livres pour cette époque-là, mais pas auprès de l’église de Suède. Mais il se trouve que j’ai travaillé sur les Laestadiens, j’ai rencontré et interviewé des pasteurs laestadiens en Suède, pareil en Norvège. Les Laestadiens étant cette branche du luthérianisme qui est assez rigide. Je me suis là aussi renseigné.  J’ai fait mon travail de journaliste sérieux.

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On dit souvent que les paysages de la Laponie sont variés entre la Norvège, La Suède et la Finlande. Est-ce que vous avez une préférence, est-ce que vous avez été dans les trois régions lapones ?

Là où j’ai été le moins, c’est le côté finlandais. Quand j’y ai été il faisait vraiment très très noir donc je n’ai pas vu grand-chose ! J’ai passé par contre beaucoup de temps en Laponie suédoise et norvégienne. Alors notamment en Laponie norvégienne puisque  j’y ai tourné ce documentaire sur la police des rennes. J’y ai passé beaucoup de temps à la fois en scooter, en quad, en hélico, donc j’en ai vu beaucoup. La Laponie suédoise, j’en ai vu beaucoup aussi, j’y ai marché pas mal mais j’ai aussi fait des reportages de traversées notamment sur ce fameux train qui transporte le minerai de fer jusqu’à Kiruna. Ce train qui fait Kiruna > Narvik et qui traverse toute la Laponie. C’est magnifique ! Pour moi la Laponie norvégienne est intéressante car elle va jusqu’à la côte septentrionale, jusqu’au Cap Nord et tout ça avec un découpage de la côte qui donne vraiment une dimension magnifique à ce pays. L’intérieur de la Laponie, c’est les plateaux arides, c’est qu’ils appellent le viida coté norvégien avec ces montagnes aplaties par les glaciers, ce qui fait que la vue porte très loin, c’est ça que j’aime beaucoup en Laponie en général, c’est que la vue porte très loin, et on voit toutes ces vallées qui s’encaissent, qui partent au loin avec des jeux de lumières qui là-haut sont extraordinaires ! A l’automne il y a des couleurs absolument fabuleuses, et l’hiver quand tout est endormi sous la neige ça donne aussi une dimension qui me laisse sans voix. Cette nature là-haut est pour moi quelque chose de très important et c’est vrai que c’est aussi pour ça que j’ai aimé faire ce livre, c’est que ça me permet de m’évader à nouveau là-bas !

Vous n’avez pas fait le musée Same à Inari (le SIIDA) en Finlande ?

Je n’ai pas fait le musée Same à Inari, mais j’en ai fait le musée Ajtte à Jokkmokk (en Suède) par exemple, il y a un petit musée à Kiruna aussi. Il y a aussi un musée Same à Stockholm et à Oslo, j’en ai fait pas mal des musées Same ! Celui d’Inari, je ne suis pas sûr !

Bon c’est bien, vous nous donnez des idées pour le prochain voyage, ce n’est pas plus mal !
La Laponie fait peur quand on parle aux gens, le froid parfois brutal, comment vous convaincriez quelqu’un d’aller en Laponie ?

Ben d’abord ce sont les derniers espaces sauvages d’Europe, donc rien que ça en soit c’est une invitation à partir tout de suite ! Il faut se dépêcher car il y a une grosse pression industrielle de l’industrie minière notamment, de l’industrie pétrolière et gazière. Mais aussi touristique, pour le meilleur et pour le pire, car c’est une région qui gagne à être visitée. Moi j’encourage vraiment les gens à y aller parce qu’on va trouver des espaces vierges, on va trouver de gens qui sont étonnants, avec des histoires surprenantes. L’avantage de cette région qui peut faire peur, parce que c’est des grands espaces, un grand froid, etc.. c’est que c’est aussi une région qui est au cœur d’une partie du monde qui est extrêmement civilisée et équipée ! C’est à dire que vous aurez un niveau d’équipement et d’encadrement où vous pourrez vous sentir tranquille même si les conditions climatiques sont dures, il y a un niveau d’équipement qui fait qu’on peut y aller tranquillement.

Et puis les gens sont toujours là pour aider !

Les gens sont formidables tout à fait !

Je voudrais revenir un petit peu sur les Sames, est-ce que c’est un peuple en danger et si oui quels sont ses dangers ?

Alors en tant que minorité ils sont menacés, comme toute minorité. Ils sont peu nombreux, ils sont environ 70 000 répartis sur les 4 pays (Norvège, Suède, Finlande, Russie), la majorité étant en Norvège. Leur langue est peu parlée donc de ce point de vue là aussi ils sont menacés. Ils sont menacés parce que l’identité et la culture Sami, repose beaucoup sur le renne et l’élevage de renne qui lui-même est menacé par le réchauffement climatique d’une part, ensuite par le développement industriel et économique d’une autre part. Tout ça ce sont des menaces pour leur culture. Ensuite, si on compare à d’autres minorités, à d’autres populations aborigènes dans le monde, ils sont bien mieux lotis. Ils sont reconnus en tant que minorité, leur langue est protégée, même si elle est menacée, elle reste quand même protégée. Ce sont des citoyens de pleins droits dans leur pays. Ils ont des parlements locaux, des parlements Samis qui valent ce qu’ils valent, qui n’ont s’en doute pas un pouvoir fracassant, mais disons qu’ils peuvent se rattacher à cette identité là également.
Leur meilleure défense est vraiment leur dynamisme culturel et politique. Ce sont des gens qui se battent pour faire entendre leurs droits, de plus en plus ils se forment à se faire entendre. Ils sont de mieux en mieux organisés, et pas seulement en Laponie, ils ont aussi créé des réseaux très efficaces qui les lient aux autres populations aborigènes, aux Inuits du Groenland, aux indiens d’Amérique du Sud, etc… Ils ont aussi des voix au niveau des Nations Unies maintenant. Une fois encore, les Samis d’Europe du Nord ont accès aux mêmes chances d’éducation que n’importe quel citoyen suédois ou norvégien, donc de ce point de vue-là ils sont sans doute beaucoup mieux armés que d’autres populations aborigènes.

Est-ce que l’extrême droite norvégienne, comme dans le livre, est une menace ?

L’extrême droite norvégienne est une menace tout comme l’extrême droite suédoise qui régulièrement prend les Samis pour cible et plus particulièrement les éleveurs de rennes. Pour des histoires de droit à la terre, ils estiment que les Samis éleveurs de rennes ont des droits spécifiques, ils estiment qu’ils sont trop protégés, qu’ils ont trop de droits par rapport aux norvégiens ou suédois non-Samis. Qu’ils n’ont pas le même accès aux terres, que le droit d’usage de la toundra pour aller se balader en scooter des neiges est limité parce qu’il faut respecter les éleveurs, les troupeaux de rennes. Donc il y a des conflits et l’extrême droite joue là-dessus.

Et est-ce que le réchauffement climatique est un danger ? Vu que vous y allez depuis longtemps, est-ce que vous l’avez constaté ?

Absolument ! Les éleveurs Samis sont vraiment les sentinelles du réchauffement climatique. C’est particulièrement sensible au moment de l’automne et de l’hiver où les effets du réchauffement sont de plus en plus perceptibles à savoir que la neige d’automne peut fondre, geler, puis reneiger et tout cela fait des couches de glace qui s’accumulent, avec un effet très simple et très dramatique qui est que les rennes, autant ils vont pouvoir casser une couche de glace pour accéder au lichen qui est leur seul pitance, autant si il y a trois couches de glaces il n’y arrivent pas ! Donc ils meurent de faim. Il y a donc des famines et quand je tournais mon documentaire sur la police des rennes, on avait, pendant le tournage d’hiver, beaucoup de conflits entre éleveurs puisque l’accès aux pâturages était très limités, il y avait beaucoup eu ce phénomène de couches de glace, et les éleveurs devaient aller nourrir leurs rennes avec des granulés, ce qui leur coûte extrêmement cher ! Beaucoup de tensions et donc beaucoup de pessimisme.

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On le voit d’ailleurs dans le reportage, ça peut aller jusqu’à de la violence extrême entre éleveurs !

Tout à fait ! Ce n’est pas un simple effet d’écriture pour un polar, ça repose vraiment sur des faits divers documentés où on se tire dessus dans la toundra. J’ai rencontré un éleveur qui avait été blessé, qui s’était fait tiré dessus ! Il y a des menaces, après beaucoup de choses n’apparaissent pas parce que les Samis préfèrent régler leurs comptes entre eux, sans s’en remettre à la police. Mais beaucoup d’éleveurs m’ont dit que c’était très tendu sur la toundra.

Et est-ce que le tourisme est un danger pour eux ? Si demain j’ai envie d’aller voir les Sames en Norvège, je peux le faire ?

Ils sont très très ouverts ! À partir du moment où l’on respecte les gens il n’y a aucun souci. Les Sames vous en rencontrerez à Stockholm, à Oslo, ils sont partout, mais ils sont beaucoup plus nombreux en Norvège, où ils sont plus concentrés. Dans le Finnmark, en Laponie norvégienne, il y a des villes ou des gros villages qui sont vraiment des villages Samis. Je pense à Kautokeino, je pense à Karasjok. Là ce sont vraiment des villages Samis, où tout tourne autour du culte du renne. Il y a, par exemple, le festival de Pâques de Kautokeino qui est formidable, il y a un festival d’automne aussi, avec une vie qui est très riche et qui tourne autour du monde Sami. C’est très présent et très ouvert.

Alors, vous parlez dans votre livre de l’ONU et d’une commission sur les peuples minoritaires, quelles sont leurs actions exactement ?

Alors les Sames et les autres populations aborigènes ont des statuts d’observateurs auprès de l’ONU et de différentes commissions. L’ONU surveille beaucoup le respect des minorités et des droits de l’homme, mais la Suède a souvent été mise à l’index à ce propos. Parce qu’il faut voir en plus que des trois pays nordiques qui sont à cheval sur la Laponie, seule la Norvège a ratifié la convention de l’ONU sur les peuples autochtones qui donnent des droits spécifiques aux Samis. La Suède et la Finlande n’ont pas ratifié cette convention. En gros la peur – quand on parle avec des gens qui habitent là-haut et qui ne sont pas Samis-  c’est de dire « Les Samis vont vouloir récupérer toute la terre et nous mettre dehors ! ». C’est un raisonnement qui est poussé à l’extrême ! Mais quand vous lisez, comme je le fait, les journaux régionaux du grand nord, quand il y a des articles qui traitent de ces questions-là, quand vous voyez les commentaires qui sont liés aux articles, c’est une vraie peur des gens de là-haut, c’est qu’ils soient mis dehors ! C’est très tendu. Et le ton du débat est très tendu lui aussi. Après ce n’est pas tellement perçu à Stockholm car on ne s’intéresse pas aux gens du grand nord, mais là-haut c’est très vivace. Et l’ONU notamment, a épinglé plusieurs fois la Suède pour avoir laisser « pourrir » la situation.

Donc il n’y a pas tant d’actions gouvernementales en faveur des Sames ?

Il y a des commissions d’enquêtes qui concluent souvent…qu’il faut faire une nouvelle commission d’enquête. Les suédois ont de gros problèmes avec ça parce qu’ils essayent de régler les problèmes, mais de fait ils font commission sur commission pour des questions qui paraissent pourtant évidentes tellement cela a été étudié depuis longtemps. Les norvégiens sont plus avancés, d’abord parce que les Samis de Norvège ont plus de pouvoir politique puisqu’ils sont plus nombreux, plus concentrés, plus voyants. C’est une minorité bien plus visible en Norvège. Ils sont aussi mieux équipés d’un point de vue juridique. Et la Norvège ayant ratifié cette fameuse convention (la convention 169 du bureau international du travail), la Laponie norvégienne a donc plus d’autonomie. Les Samis y sont parties prenantes, donc du coup ça avance beaucoup plus, même si il y a encore des problèmes.

Du coup, quelles sont leurs attentes, quel est leur développement dans le futur ?

J’ai souvent posé la question à des responsables politiques Samis, que ce soit en Norvège ou en Suède sachant que les Samis ont tous les attributs d’une nation. Ils ont une culture, une histoire commune, une identité très forte, ils ont un drapeau, ils ont un hymne, un territoire assez clairement délimité, et pourtant ils n’ont jamais eu envie de revendiquer une Sapmi indépendantes (une Laponie indépendante). Parce qu’ils disent « On est trop peu nombreux de toute façon ! On est 70 000, qu’est-ce qu’on ferait d’un pays ? On est un peuple de la nature, on s’adapte à la nature, c’est la nature qui est notre seul maître. Notre seul état c’est la nature ! » Donc ils n’ont pas cette envie de nation. Ils s’en remettent totalement de ce point de vue-là à leurs pays respectifs, en espérant leur faire entendre raison. Ils m’ont souvent dit que tout ce qu’ils veulent, c’est être respectés en tant que tels. C’est tout.
N’étant pas Sami je n’ai pas pu le vérifier mais dans leur langue le mot « Guerre » n’existerait pas.

Mais il y a 10 000 termes pour décrire les différents tons de blanc selon le type de neige !

Exactement !

La Norvège a récemment déclaré qu’elle allait chercher du pétrole au Nord et au Sud du pays et qu’il y en avait. Les ressources naturelles comme les nombreuses mines, les puits de pétrole peuvent être une menace pour les Sames ?

De fait, le développement industriel est une menace pour ces pays-là ! Aujourd’hui c’est l’industrie minière qui connaît un boom extraordinaire, c’est la croissance la plus forte de l’industrie suédoise en Laponie. Il y a beaucoup de projet en cours, beaucoup de tensions à venir donc. On est vraiment en plein dedans, et je ne pensais pas que mon livre serait à ce point-là prémonitoire pour cela. Ensuite, il y a le développement de pétrole et de gaz dans la zone arctique. Sachant que la zone arctique est le dernier eldorado non exploité au niveau des ressources. Beaucoup de compagnies s’intéressent depuis quelques années à cette région, depuis que l’institut géologique américain avait dit qu’à peu près 25% des ressources non trouvées de pétrole et de gaz, étaient dans le périmètre arctique. Il y a donc un fort intérêt des compagnies pour cette région et elles s’y intéressent d’autant plus que le réchauffement climatique libère de plus en plus les glaces, ce qui va rendre cette région accessible à la navigation. Et ça l’est déjà en ce moment ! Au moment où on parle, il y a des navires qui longent la côte de la Russie entre l’Europe du nord et la Chine. Et ça va se développer de plus en plus, et cela va être source de nouveaux conflits avec des risques de pollution énorme ! Parce qu’une marée noire en zone arctique aura des conséquences dramatiques que l’on n’imagine pas ! Quoi qu’en disent les compagnies pétrolières, c’est un environnement qui est tellement fragile. Il y a un vrai combat qui se mène en ce moment et depuis des années sur l’exploitation ou non de cette région.

Alors je vais revenir sur la police de rennes, j’aimerais bien que vous parliez de quand elle a été créée, pourquoi, est-elle vraiment utile ?

C’est une bonne question, est ce que la police des rennes est utile… Ce n’est pas une police au sens ‘’classique’’ du terme, c’est ça qu’il faut avoir en tête. C’est le paradoxe de cette police, c’est que c’est une police de proximité sur des distances phénoménales, où il faut parfois 2/3 jours pour rejoindre une ‘’scène de crime’’ comme on dit, donc c’est un vrai défi pour l’entendement, surtout qu’ils ne sont qu’une quinzaine en Norvège à couvrir une zone qui doit faire un quart de la France, ça donne une idée de sa dimension. La nature de leur métier fait qu’ils ne sont jamais sur le coup, évidemment, le flagrant délit, ça n’existe pas dans la police des rennes. Parmi ceux que j’avais rencontrés, un des agents de la police des rennes me disait qu’en 10 ans qu’il était là, il n’avait jamais sorti sa paire de menottes ! Donc c’est vraiment une police très particulière, ce sont des médiateurs, ce sont des gens qui vont faire leur boulot, c’est de la prévention, c’est vraiment aller au contact, voir les éleveurs, sentir la température, voir un peu s’il y a des tensions à venir, où est ce que vous allez, par où vous allez passer votre troupeau, vous êtes sûr qu’il n’y a pas le berger d’à côté, il est peut-être encore là, vous risquez de mélanger vos rennes, ça va être conflit… Donc ils sont vraiment dans le palabre, dans le contact avec les gens, c’est vrai que quand il y a un conflit, ils arrivent toujours trop tard, les gens en rigolent un petit peu, parce qu’ils ne peuvent jamais être dessus, mais en même temps, quand ils se montrent, ils ont un effet préventif, ils sont là. Mais c’est vrai qu’ils sont régulièrement mis en cause, malgré tout, il y a des gens qui ne les prennent pas au sérieux. Certains des norvégiens disent : Ah la police des rennes, c’est la police des Samis ! On pense qu’ils prennent parti ou alors, s’il y a des policiers Samis, comme il y en a quelques-uns, on se dit mais ils ont sûrement des parents qui sont éleveurs de rennes donc il y aurait conflit d’intérêt. Donc ce n’est pas simple, et ils sont remis en cause, ils doivent se battre pour justifier leur existence qui remonte à l’après-guerre, vers 1949.

On va parler un petit peu de vous maintenant ! Est-ce que vous avez beaucoup voyagé, au-delà de votre métier de journaliste ?

Je voyage beaucoup comme journaliste, c’est entre autres pour ça que j’ai choisi ce métier. D’ailleurs, c’est pour aller rencontrer les gens différents, mais là, ça fait presque 20 ans que je suis en Europe du Nord, donc c’est vrai que j’ai passé beaucoup de temps dans cette région, aussi bien dans les pays nordiques que dans les pays baltes, puisque je couvre aussi l’Estonie, La Lettonie et la Lituanie, mais oui j’essaye de sortir aussi un peu de l’Europe du Nord de temps en temps mais même après 18 ans, j’arrive encore à me laisser surprendre par des reportages que je veux faire en Europe du nord, j’ai encore des tas d’envies.

Quelle est votre philosophie de voyageur, plutôt baroudeur, backpacker, posé, touriste, explorateur ?

Hola ! Ce qui m’intéresse, moi, souvent, c’est …alors moi j’aime voyager lentement. Je fais pas mal de randonnées, partir crapahuter avec des amis ou seul d’ailleurs, donc j’aime bien ce rythme. Quand je suis en reportage, si je peux, j’aime bien voyager en bateau ou en bus. Un voyage qui permette de rencontrer les gens, de prendre du temps. Donc j’aime bien prendre mon temps, en reportage, ce qui n’est pas toujours gagné d’avance, ce qui est de plus en plus dur, mais c’est un peu mon défi à moi, d’essayer, de savoir prendre du temps dans ses moments là. Je sais qu’en général, je passe toujours beaucoup trop de temps dans mes interviews parce que je déborde toujours, sachant très bien que sur 3 heures d’entretiens, je n’en utiliserais que 10 minutes, mais parce que je sais que j’ai besoin de ça pour comprendre aussi, pour m’imprégner, et c’est vrai que dans les voyages que je fais et qui sont non journalistiques, où que ce soit, pour moi ça passe par la rencontre avec les gens. Les paysages j’aime bien, c’est magnifique et j’aime ça, mais si ce n’est pas lié pour moi à une rencontre, c’est beaucoup moins intéressant.

Quel a été votre premier souvenir de voyage en France ?

Alors là vous êtes durs avec moi ! (Beaucoup d’hésitations !) J’imagine que ce qui me revient naturellement, c’est que j’ai grandi en région parisienne et on avait la famille dans le sud, donc c’était les voyages sur l’autoroute en voiture, quand on partait pour Montpellier, ou pour Dax. C’est des voyages, des souvenirs liés à l’odeur de la voiture, à la nausée, à tout ça, donc pas toujours très drôle !  Mais à l’envie de partir par contre aussi, de retrouver le soleil, le sud, etc, mais tout gamin, ça doit être ça. Ce dont je me souviens le plus c’est le persil qu’on me scotchait sous le nez, enfin sur la poitrine parce que paraît-il c’est bon contre la nausée en voiture, avec les sièges qui avait une odeur épouvantable.

Votre premier souvenir de voyage à l’étranger

Alors à l’étranger, ça doit être je pense en Allemagne, un échange linguistique, mais je ne suis pas tout à fait sûr, on va dire que c’est celui-là. C’était à Fulda, à l’époque où il y avait  encore les deux Allemagne, et donc c’était une petite ville où j’avais un correspondant allemand, j’étais allé chez lui et je me rappelle un souvenir très précis de ce voyage en Allemagne, notamment quand la famille m’avait amené à la frontière avec la RDA. On regardait ça de loin mais je me rappelle que cette frontière m’avait beaucoup impressionnée, très large, avec des miradors, avec des voies recouvertes de terre balayées en permanence pour que l’on remarque les traces d’un éventuel passage, des barbelés etc… Mon premier souvenir de voyage est lié à ce rideau de fer.

Le pays qui vous a le plus marqué ?

Je dirais le Liban. Qui est un pays que je porte toujours énormément dans mon cœur, parce que j’y étais là-bas comme tout jeune journaliste pendant la guerre. C’était en 1988, la première fois. J’y suis retourné en 1990, toujours à la fin de la guerre. C’était un voyage qui m’avait beaucoup impressionné, c’était un peu on va dire un voyage initiatique comme jeune journaliste. J’y ai rencontré des gens extraordinaires avec qui je suis toujours en contact, qui sont toujours des amis et c’est un pays qui, aujourd’hui encore, compte beaucoup pour moi.

Celui qui vous a le plus déçu ?

Honnêtement, j’ai du mal à vous répondre, parce que c’est lié à ma nature, mais comme les pays que je visite sont toujours liés pour moi à des gens que je rencontre et je m’intéresse aux gens, c’est à partir du moment où je fais des rencontres que c’est gagné. J’en ressors grandi et pour moi ce ne sera pas un échec, parce que ça renverra toujours à des gens avec qui j’ai passé des grands moments. Donc vous pouvez me mettre dans le pire des pays, à partir du moment où je rencontre quelqu’un qui va me donner un peu de son temps pour me raconter ses histoires, pour moi ce sera un pays formidable.

Quelles sont les choses dont vous ne vous séparez jamais quand vous partez en voyage ?

Ecoutez, c’est mon passeport, un carnet et un crayon, et puis avec ça on va loin !

 

Le polar d’Olivier Truc est disponible au édition Métailé, et pour l’occasion la maison d’édition s’est même fendue d’un petit trailer histoire de mettre en appétit les derniers qui ne seraient pas encore convaincus


Trailer Le Dernier Lapon par Editions_Metailie

6 Commentaires
  • Laponico
    Posted at 11:02h, 02 octobre Répondre

    Merci pour cette interview très très intéressante, autant sur le livre que concernant la culture Same, ça donne autant envie de partir que de s’intéresser encore plus à ce peuple…et aussi lire le dernier Lapon !
    Laponico Articles récents..Erika Larsen, 3 ans chez les Sames de NorvègeMy Profile

  • Tanned-voyage
    Posted at 20:57h, 10 octobre Répondre

    Interview très intéressante, j’ai déjà mon hiver de pris mais j’aurais bien aimé partir en Laponie! ça doit être vraiment une destination fantastique et il y a moins de touriste que sur les plages!!
    Tanned-voyage Articles récents..Où partir cet été au bord du Moyen Orient?My Profile

  • amelie
    Posted at 14:51h, 19 octobre Répondre

    Merci pour ce récit, en effet la Laponie regorge de surprise!
    Tu ne parles pas du village du père noel, peut être que je me trompe? (25€ la photo avec le père noel…)
    amelie Articles récents..Voyager seul à AthènesMy Profile

  • retourdumonde
    Posted at 17:27h, 19 octobre Répondre

    C’est indéniable que la Laponie regorge de surprise ! 🙂 Pour ce qui est de cet article c’est l’auteur/journaliste Olivier Truc qui nous à donné son point de vue sur la Laponie, mais plus la Laponie sauvage, en dehors des sentiers battus. J’ai fait le village du Père Noël quand j’était plus jeune, celui de Rovaniemi en Finlande (il en existe d’autres, en Suède notamment) qui est vrai est un truc à touriste, mais pire encore l’espèce de “Santa Claus Park” à quelques centaines de mètres du cercle polaire (prix prohibitifs, attractions pas terribles,…)

  • Michel Caravella
    Posted at 18:19h, 22 décembre Répondre

    J’ai bien apprèçiè ce livre car l’auteur nous parle et nous dècriit un pays et des gens qui vivent encore de nos jours comme leurs ancêtres ou presque..
    Magnifique ! Merci.

  • clacla du 35
    Posted at 14:53h, 25 mars Répondre

    je devais lire ce livre au lycée et je n’était pas trop emballée mais j’ai adoré il est géniale!! J’y vais cet été.

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