Le silence de Cherchebruit

Le silence de Cherchebruit

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Cherchebruit

Cherchebruit

Herburua

43°18’23″N – 1°31’22″W

Suggestion d’accompagnement sonore :

John Holt – Anywhere You Want To Go
(Coxson – 1969)

Parfois, il est bon de se laisser porter, de laisser les autres vous guider pour ainsi découvrir et s’émerveiller de trésors inconnus.

La frustration nous avait laissé un petit goût spécial au fond de la gorge. La frustration de ne pas avoir le temps de défricher des pistes inconnues, des chemins pleins de promesses. La semaine écoulée avait été un savant mélange d’obligations et de flemme résultantes d’une décompression nécessaire. Bref, nous avions grandement de besoin de repartir en exploration chercher le silence à Cherchebruit.

La balade et le brunch à Gorramendi nous avait donné un avant-goût de ce que nous voulions, pouvions faire avec les copains. Habituellement, ici, c’est moi qui guide les gens, c’est moi qui leur fait découvrir mes endroits mais cette fois les rôles se sont inversés. E., trop heureux de faire découvrir des lieux que les auteurs de Retour du Monde ne connaissaient pas, nous a embarqués, ainsi que sa (belle) petite famille, direction Herburua, Cherchebruit.

Avec Lily, encore marquée des pistes et chemins attaqués les jours précédents, le convoi s’est mis en branle en direction de l’inconnu. Cherchebruit. Drôle de nom que ce quartier de Saint-Pée-sur-Nivelle. L’histoire semble raconter qu’elle tient son nom des beuveries mythiques, du raffut que faisaient les soldats napoléoniens les longs soirs d’attente protégeant une frontière poreuse face à l’ennemi anglais qui lui, stationnait sur le versant espagnol.

Mais en fait peut-être pas. Il existe pour Cherchebruit autant de théories et d’hypothèses que de feuilles tombées au sol. Selon Guy Lalanne et Jacques Antz, dans la revue Jakintza n°85 il existe d’autres possibilités. En argot de l’ancien français, un cherche-bruit est un genre d’emmerdeur, quelqu’un qui vient chercher querelle. On évoque peut-être les multiples querelles entre les bûcherons gascons et basques se chicanant le coin du bec à la buvette Bidegaina, point de ralliement venant clore autour d’un verre, les journées harassantes de labeur.

Et une dernière, parmi d’autres, hypothèse viendrait là encore, de la bataille de la Nivelle contre les anglais, où selon un ouvrage, les cherche-bruits étaient des sentinelles venues s’approcher discrètement des lignes ennemies afin de venir écouter les éventuels plans d’attaques du lendemain.

La seule chose dont on est quasiment certains, c’est que l’origine du nom est plutôt récente (19e siècle) et que l’Impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, acheta des parcelles de bois à Cherchebruit en vue d’y faire construire une colonie agricole pour la réinsertion de jeunes filles condamnées. Mais revenons à notre route, voulez-vous.

Direction Sare, puis Dantxarinea. Sur la route des estivants accros aux bouteilles de Pastis de 2L, juste avant un virage en épingle se trouve un petit parking, qui ne paie pas de mine, qui n’indique rien, une étendue de gravier sableux, sans autre indication que la Nivelle qui coule en contre-bas et un chemin qui s’enfonce dans la forêt. En pleine période caniculaire alors que la France dégouline sous les vents venus de l’Afrique du Nord, nous, nous profitions de la fraîcheur des chênes et des aulnes pour respirer un peu.

E. me raconte un peu l’histoire. Je savais que la forêt de Sare cachait des arbres aux profils un peu particulier, j’avais entendu des trucs, lu des bribes à droite à gauche, mais je ne connaissais pas l’histoire des arbres têtards. Des formes bizarres, des visages mythologiques, trollesques tout droits sortis du bestiaire mythologique que l’immense Aita Barandiaran passa sa vie entière à rassembler les légendes dans un ouvrage devenu aujourd’hui rarissime.

Pendant plus de 300 ans, cette forêt était dédiée à la coupe de grumes pour le bois de chauffage et plus exactement le charbon de bois. Mais afin de préserver la forêt, l’abattage de l’arbre en lui-même, en était strictement interdit. Restait alors au bûcheron, l’unique possibilité de couper les plus grosses branches encore et encore. Et puis le temps passant, les technologies évoluant, la forêt de Sare/Cherchebruit fût abandonnée à son sort, remise en main propre à la nature qui y refit tranquillement sa place. La résultante de tout ça, ce sont des arbres amputés, déformés, des silhouettes de gueules cassées de la Grande Guerre.

Des moignons, des lambeaux d’écorces, des blessures, des orifices colonisés par une faune bien trop contente de récupérer des triplex naturels. Aujourd’hui, par chance, la forêt est protégée nous permettant de l’arpenter sous sa tonnelle naturelle avec en bruit de fond la Nivelle qui trace sa route.

Emmener des gamins ou des grands enfants comme nous, met immédiatement en branle un imaginaire mythologique, chacun y voit ce qu’il vaut y voir, des visages effrayants, un ours, Basajaun, Sugaar, Basandere ou encore des petits laminak.

La rando remonte ce qui ressemble à un ancien lit de rivière asséché, rivière de pierres saillantes, pont naturel de troncs s’étant pliés par la force des tempêtes hivernales, forme d’arbre ressemblant à un ours. Ici comme souvent au Pays Basque, si vous y êtes sensible, l’imaginaire vient s’immiscer dans votre esprit pour vous faire avoir des hallucinations mystiques. Le Pays Basque est une terre de légendes et comme l’on dit dans le Baztan, à propos des sorcières : « Il ne faut pas croire qu’elles existent, Il ne faut pas dire qu’elles n’existent pas ».

Nous longeons les ruines d’une ancienne pisciculture, nous croisons des trous à saumon que l’on aperçoit du pont qui enjambe la Nivelle et voyons clairement dans son lit, cette forme rocheuse en pile d’assiettes si caractéristique de l’embase du début des Pyrénées qui à force de pousser et d’être poussée continue de faire grandir nos montagnes.

Une grosse heure de marche, à papoter, échanger, à faire découvrir, simplement et naturellement et nous voilà de nouveau au point de départ. La suite de la journée ? Aucune idée, on se laisse porter. Nous traversons la route, empruntons un premier chemin boueux et gras d’où émergera comme un mirage une dizaine de vététistes espagnols nous indiquant que le chemin est impraticable pour nous.

Demi-tour dans une quasi pénombre, nous rebroussons chemin avant que la forêt nous encercle, retour sur nos pas, tentative d’une autre piste qui grimpe de plus belle. Longeant des champs, écartant des branches, dérivant dans des ornières de boue grasse, nous débouchons au pied d’une ruine et à quelques mètres de Zori Venta, une bâtisse d’un blanc sale, vestige d’une venta abandonnée.

Ne l’oublions pas, nous sommes sur le chemin des contrebandiers, ici la frontière n’existe pas, elle n’est pas poreuse, elle est simplement vaporeuse. Impossible de trouver la moindre trace d’info sur cette Venta, certaines photos la montre taguée (2007), d’autres grillagée devant avec des chaises de jardin sur le perron (2007). Mais nous rien de tout ça, elle est là, blanchie à la chaux, trônant fièrement les rideaux tirés comme si tout ça n’était que temporaire, comme si le propio ne tarderait pas à revenir pour remettre un coup de peinture sur son nom qui s’efface.

Nos roues ne continueront pas plus loin. Simplement parce qu’un double panneau d’interdiction ramène nos envies à la raison. Nous prenons des chemins de traverse, empruntons des pistes mais cela ne nous empêche pas pour autant d’être responsable, respectueux, de ramasser les déchets laissés par les autres. La piste qui elle continue est en fait la continuité du GR10 qui s’ébroue sur quelques petits kilomètres pour rejoindre Ainhoa.

Autour de nous la vue, bien que bouchée, est assez plaisante, des vallons à perte de vue modelant un paysage de bosses sous un brouillard brumeux et humide. Tandis que les vaches s’ébrouent sous un arbre esseulé et après avoir inspecté une dernière fois cette ruine de borda, nous reprenons la route.

Et là, forcément arrive le moment où personne n’ose le dire, mais personne n’a envie de briser l’instant, d’y écrire le mot « fin ». Remballez tout, tout le monde rentre à la maison. Alors on traine, on boit un pot sur la place du fronton dans ce village qui a tant de souvenirs pour moi, Ainhoa. On lorgne sur le camion à pizza, l’estomac commence à gargouiller, la fin nous tiraille, on hésite, on tergiverse, on soupèse, et on se casse.

Trop d’attente. Plan B. Direction Saint-Pée’, une autre pizzeria. Sauf que la voix d’E. résonne dans le talkie, ce sont les fêtes de Saint-Pée ce soir, les rues sont bouclées, les restos pas mieux. Je sens que la faim commence à pousser les esprits à la dérive. Au final nous terminerons dans une énième pizzeria, l’attente nous paraissant interminable, nous filerons sur notre spot (plus si) secret que ça, dégustant nos pizzas face à la mer et aux montagnes dans un chouette moment de gros kiff partagé.

C’est par des pistes, de nuit, nous perdant à moitié que nous terminerons cette journée, nous guidant à la lueur de nos phares, pour terminer de nous séparer au milieu d’un carrefour, d’un coup de klaxon, comme le point final d’une journée parfaite.

La vidéo :

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