De Zarautz à Getaria, embrumé par les embruns

De Zarautz à Getaria, embrumé par les embruns

Suggestion d’accompagnement sonore :

Maddalen Arzallus – Itsasoan Urak Handi  (EiTB – 2014)
Cette chanson est un classique du poète et musicien Xabier Lete. Les paroles sont une ode aux travailleurs, aux choix que l’on doit faire dans la vie pour continuer d’avancer. Il existe plein de versions mais la douceur de la voix de Maddalen Arzallus, reste sans doute ma version favorite.

Il y a des fois en voyage où l’on veut juste voir. Un point sur carte, un nom sur un panneau, une ville qui passe comme ça au détour d’une discussion, à la lecture d’un article. L’histoire de cette escapade qui est venue clore notre besoin de souffler au Pays Basque au mois de Novembre dernier, c’est un peu de ça. C’est ça, mais c’est aussi partir à la recherche d’un souvenir d’enfance tout en faisant de nouvelles découvertes. On a donc filé sur Zarautz et Getaria, une journée passée à s’embrumer l’âme sous les embruns.

Raconter le début de cette journée, n’aurait sans doute aucun intérêt, on s’est paumés dans Donostia, on a virevolté à droite, à gauche, et puis comme un lapin pris en chasse par une horde d’automobilistes embouchonnés, on a pris la première route qui s’éloignait, et l’on a grimpé, grimpé et encore grimpé les contreforts du Monte Igeldo sans même le temps de l’apprécier, bien collés au cul par un camion visiblement pressé.

Le hasard étant sans nul doute le meilleur compagnon de voyage, on s’est retrouvés, ne nous demandez pas comment, sur une petite route à flanc de falaise. Padre Orkolaga Ibilbidea suit le même trajet que la grosse nationale qu’il surplombe, mais lui décide de faire les choses avec lenteur, lézardant, tournant au milieu d’un arrière-pays verdoyant qu’on a un peu de mal à imaginer à quelques kilomètres à peine de la capitale de Gipuzkoa.

On a donc pris plaisir à suivre les traces du hasard, ne boudant pas notre plaisir en multipliant de petites pauses pour observer les reliefs et l’écume du golfe de Biscaye. Puis vient Zarautz. Bon faut vous dire que je sortais à peine du dernier volume de la trilogie du Baztan de la très grande Dolorès Redondo, et que l’une des sœurs dans le bouquin, habite Zarautz. Ça m’a un peu servi de prétexte pour me décider de s’y dégourdir les arpions. Et puis ce nom était bloqué dans un coin de ma mémoire, dans l’énorme dossier où je range tout ce que j’aimerais voir, découvrir, faire, arpenter, grimper dans cette région qui me semble de plus en plus incommensurable tant je n’en vois pas le bout.

Si on voulait enfoncer les portes ouvertes, dérouler les poncifs et résumer ça en un seul cliché éhonté, on pourrait dire de Zarautz que c’est le Deauville du Pays Basque, ou le Biarritz de Gipuzkoa. Une ville à l’histoire modeste, somme toute classique pour un village côtier de la région, puisque son activité était principalement tournée vers la chasse à la baleine, l’ancien poumon économique, il y a plusieurs siècles de ça.

Mais comme souvent il aura fallu le passage d’un noble, ici, la reine Isabelle II, pour que Zarautz change d’allure, s’embourgeoise, construise des palais, sculpte des blasons, se donne des grands airs. La notoriété de Zarautz, hormis son climat délicieux, ce sont ses 2,8 km de plage en ligne droite, rappelant définitivement celles de Normandie. On avait décidé de se promener, sans trop savoir, sans trop chercher, sans trop forcer, on est donc sorti prendre l’air, et l’on a déroulé le fil de la grande plage.

Une plage, surtout lorsqu’elle est, comme ici, ancrée dans la ville, c’est un lieu de vie, un microcosme, un bonheur pour le curieux que je suis. Il suffit d’ouvrir les yeux, les oreilles, de se laisser emporter par le bruit des vagues, les embruns venant vous coller à la peau et la vie se déroule. Comme un film sans scénario mais dans lequel on se fait tout de même emporter.

Sortie de l’automne et alors que l’hiver frappe à la porte, Zarautz a quand même une drôle de gueule qui n’est pas pour me déplaire. On ne peut pas là, tout de suite, ne pas penser aux plages du nord de la France. Avec ses boutiques fermées, ses arcades délaissées où seul un vieil aita balade son petit-fils dans une poussette faisant des allers-retours pendant près d’une heure et demie, et ses miradors de maitre-nageur à l’allure surannée fleurant bon le tout béton des années 60/70. On dirait que le temps s’est arrêté sans que personne ne le remarque. Et moi ce genre d’ambiance, je m’en délecte.

Seules les quelques œuvres d’art contemporaines viennent apporter une touche de modernité, laissant parfois perplexe le marcheur en goguette. Malgré le petit vent frais et les 10°c au thermomètre, il flotte dans l’air de Zarautz un je-ne-sais-quoi qui donne envie de ralentir le pas et prendre le temps de ne rien faire. Une sorte d’éloge à la lenteur, à la promenade, où l’on vient arpenter la grève pour réfléchir, peser le pour et le contre, comme si la mer avait le pouvoir de tout résoudre.

On s’est arraché de Zarautz avec un petit pincement au cœur, avec l’envie d’y revenir, à un autre moment, avec une autre lumière. Et puis l’on a déroulé les petits cinq kilomètres de côte qui séparent Zarautz de Getaria, que les gens ont l’habitude de faire à pied, passant sous le tunnel de la roche, longeant une mer mousseuse d’écume. Et vient enfin l’autre chapitre de cette journée.

Getaria pour moi reste lié à un souvenir, enfin tout du moins je le croyais, un de ceux dont vous vous rappelez avec délectation, qui vous remplit. Une sortie de famille en petit comité, avec des gens qui ont quitté l’histoire au moment où ce n’était pas vraiment leur heure. Pas encore. Mais en fait j’avais tout faux. Je revoyais cette carcasse abandonnée au fond d’une crique, cette porte fortifiée, cette petite place, cette balade le long de la grève. Mais que dalle, nada, peau de balle. C’était en partie pour faire revivre ce souvenir que je souhaitais tant y retourner, mais il faut bien l’admettre je m’étais salement planté. Ce devait être Pasaia au lieu de Getaria, enfin peut-être, je ne sais plus.

Getaria n’a rien à voir avec sa cousine du nord avec qui elle partage le même nom en basque. Tandis que l’une est figée à jamais sous la coupole de verre d’une boule à neige avec ses allures de carte postale, la seconde, elle, semble plus vivante, plus rageante, plus active. Elle bouillonne, gueule, s’agite et cravache dans un dur labeur. Getaria m’a rappelé les ports à la gueule chiffonnée des provinces maritimes canadiennes. On sent que la pêche est un élément indissociable de la ville, le cœur, le poumon, tous les organes de celle-ci.

A Getaria on compte le nombre de campagnes de pêche en comptant les rides des forçats de l’Atlantique. Les visages sont façonnés, striés à coup d’écume, burinés à coup de sel, et marqués à force de fatigue. Et encore, les campagnes sont bien moins longues qu’elles ne l’étaient à l’époque. Fini le temps où il fallait laisser femme, maison et enfants derrière soi pendant huit longs mois, et où chaque poisson rapporté était l’assurance de pouvoir remplir les gamelles au moins pour quelques temps.

Maintenant tout est un peu plus simple, les campagnes sont moins longues et de toute façon le poisson a déserté, les quotas vous assomment sévèrement, rendant le métier presque impossible. Moins nombreux sont aussi les pêcheurs de métier, les arrantzaleak ont changé, évolué. Ici vous pouvez parler français avec de grandes chances d’être compris et écoutés, pas uniquement parce que la frontière est proche, non, mais parce que les nouveaux infatigables viennent de Côte d’Ivoire, du Sénégal, ces pays où là aussi, la pêche est élevée au rang d’art séculaire et ancestral. Minorité silencieuse ou bien reflet du changement. Au fond, je ne sais pas trop, difficile à dire. Mais je porte une admiration pour ces bagnards de la grande bleue, peu importe d’où ils viennent.

A peine garé sur le port, au pied de la mythique montagne de San Antón, anciennement île, et que l’on surnomme La souris de Getaria du fait de sa forme, c’est alléchés par les odeurs de poissons qu’on s’est mis en quête d’un resto. Ce qui ne manque pas ici. On a jeté notre dévolu chez Txoko, les prix tiraillaient un peu notre budget, mais bon, on a qu’une vie, autant la passer à bien bouffer, sinon à quoi bon.

Rassasiés, on a déambulé dans la ville, pour digérer nos verres de txakoli et le poisson qui l’accompagnait. Si Zarautz avait des allures d’hiver, Getaria à cette heure avancée de la journée, elle avait clairement des allures estivales, au moment où la ville se meurt, ramenant ses habitants chez eux pour une traditionnelle sieste d’après midi.

Sur une carte Getaria, c’est un petit lopin de terre tout en longueur, à flanc d’une modeste colline, nous, on a simplement lézardé dans les ruelles de pierres ancestrales ayant connu bien des révoltes, bien des batailles, des destructions, des guerres. Si les murs des ruelles pouvaient parler, ils raconteraient les campagnes de pêches de Terre-Neuve, d’Islande et d’ailleurs, la guerre d’Indépendance, les guerres carlistes et autres histoires passionnantes. Getaria a beaucoup souffert, souvent détruite, toujours reconstruite, comme par défi d’orgueil, comme pour dire au reste du monde, qu’elle plie mais ne rompt pas.

Ce qui peut surprendre lorsque vous visitez les villes du Pays Basque côté espagnol, ce sont tous ces drapeaux blancs aux fenêtres. La silhouette du Pays Basque et la phrase Euskal preso eta iheslariak, Etxera. Ils sont partout, flottants dans le vent comme du linge aux fenêtres des villages de Catane. Ils sont là, forcément visibles. Oppressants pour certains, utiles pour d’autres, partie intégrante du paysage. A chaque drapeau, j’ai envie d’expliquer, de faire comprendre sans jamais chercher à convaincre. Moi de cette situation des prisonniers dispersés, d’ETA, j’ai voulu me faire un avis, une opinion alors j’ai lu, j’ai décrypté, potassé, traduit, recoupé, analysé.

Le souci est bien plus dense, plus complexe, tout n’est pas noir, tout n’est pas blanc. A leur vue j’ai envie de parler de Sin Feínn, d’Irlande, de la loi Kouchner, de Papon, d’étudiants bordelais, de GAL, de BVE, de guerre sale, de Franco, de tortionnaires qu’on décore de la légion d’honneur, d’initiative populaire, des FARCS…Enfin et surtout, j’ai surtout envie de parler de tourner la page.

Les drapeaux flottaient donc au vent, claquant sur notre chemin qui nous menait de maison en maison, de statue de Juan Sebastián Elkano en statue de Juan Sebastián Elkano nous faisant pousser jusqu’au ancienne fortification et au mur à gauche municipal. Petit point historique rapide, Juan Sebastián Elkano est un enfant du pays, il fût le capitaine survivant de la première circumnavigation tentée par Magellan, menant l’expédition jusqu’à son terme après la mort de ce dernier.

Dans la Kale Nagusia Kalea, on a trouvé une boutique Salanort, la seule ouverte de la rue principale, qui vendait du poisson sous toutes les formes possibles, venu exclusivement du port de la ville. On a fait le plein, ramenant au passage quelques bouteilles d’une excellente bière artisanale qui se déguste en écrivant cet article.

Au bout de la rue, nous pousserons la porte de l’église San Salbador, celle la même où en 1397, entre ses murs furent signés par les représentants de la région,  les premiers traités du territoire de Gipuzkoa.

Et enfin, comme aimanté, on est retourné sur le port pour déambuler au milieu des bateaux qui rentraient de campagne ou qui en partaient. Le tout sous l’œil aguerri et gourmand de mouettes repues à force de bouffer de la carcasse.

Au pied du port, se trouve un gigantesque bâtiment mystérieux, Itxastarentzat Etxe Atsegina, qui même en ruine, rend compte de la puissance économique dont Getaria a pu jouir un jour. Si j’ai bien tout compris, c’était l’ancienne auberge, refuge, hôtel, pour les pêcheurs. Le point de rencontre et de réconfort entre deux campagnes.

Les filets au sol, les chalutiers moteur tournant, les pêcheurs au bout de la jetée. Getaria est la définition même du village de pêcheurs, la quintessence du métier. Un endroit à voir pour qui veut comprendre et s’imprégner de cette atmosphère si particulière où flotte une odeur mélangeant, la marée, le limon, le gasoil et la sueur des hommes.

J’ai demandé et pris le temps de faire un portait de l’un de ses arrantzaleak qui passait sa tête en dehors du hublot et doucement nous avons rebroussé chemin vers un autre ailleurs.

Si Zarautz s’apprécie, pour ma part Getaria m’a chamboulé. Je l’ai souvent dit, j’ai un feeling particulier avec de monde de la mer, un truc que je n’explique pas. Getaria m’a laissé un vague à l’âme, son authenticité autant que son charme désuet, en ruine m’a embrumé les sens. Je m’y sentais bien et n’avais pas envie de quitter ses fortifications, son monde qui vit, bouge, se calme au gré des marées, s’agite au gré des tempêtes. Je pense pouvoir le dire sincèrement, j’ai eu un coup de cœur.

Nikon D610 | Yashica Mat 124-G – Ilford HP5 | Minolta SRT-101 – Fuji Superia 400

De #Zarautz à #Getaria, une journée a voguer parmi les embruns. #PaysBasque Cliquez pour tweeter

4 Commentaires
  • Samsha
    Posted at 19:59h, 04 avril Répondre

    Magnifiques photos!!

  • Alice
    Posted at 16:11h, 05 avril Répondre

    “Comme un film sans scénario mais dans lequel on se fait tout de même emporter.”
    “…comme si la mer avait le pouvoir de tout résoudre.”

    On a l’impression de voyager à vos côtés tant les mots sont bien choisis, imagés, plein de sens, d’histoire(s) et de métaphores. Ton texte est si bien écrit, brr, ça met les poils !

    • retourdumonde
      Posted at 13:22h, 08 avril Répondre

      Rho merci Alice, tu sais que tes messages comptes et son un moteur, une motivation pour continuer sans cesse, de s’améliorer, de partager. 😉

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.