Aurores Boréales – Une nuit blanche qui vire au vert…

Aurores Boréales – Une nuit blanche qui vire au vert…

Des nuits blanches durant mes études j’en ai fait pas mal. Les yeux qui collent, les paupières qui tombent alors qu’on essaye de rester attentif sur le projet sur lequel on bosse. On s’octroie des pauses, trop de pauses pour essayer de ne pas sombrer, et puis on sombre petit à petit, on a du mal à rester concentré, bref je connais bien. Mais en Islande, je pense avoir vécu la meilleure des nuits blanches, du genre unique, où la fatigue n’existe même pas, où le froid disparaît au profit de l’émerveillement, oui parce qu’en Islande on a vécu une nuit blanche qui a viré au vert.

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Il faut remettre les choses dans leur contexte. Dimanche 23 février, c’est notre dernier jour du voyage, on a pris claque sur claque, on a la fatigue des longues journées dans les jambes, et demain matin on reprend l’avion. Avant de partir faire un petit tour dans la ville, on se renseigne pour savoir à quelle heure le bus passe nous prendre. On a fait un rapide calcul sachant qu’il faut qu’on parte de l’hôtel à 4h du matin, et on nous prévient tout de même qu’il faut mieux être prêt en avance car le bus à l’habitude de passer à 3h40. Bon ok ça risque de piquer un peu. Ca tombe pile dans la tranche un peu bancale où si tu t’endors tu rames pour ouvrir les yeux, et si tu veilles tu rames pour ne pas les fermer.

La journée passe en compagnie de Sophie à déambuler dans Reykjavik, à prendre une « vibes » une dernière fois. Profiter de l’air marin, de la vue sur les montagnes aux alentours qui paraissent être toutes proches, bref la journée se passe. On fait tout de même un saut à Perlan juste à côté de l’hôtel. Perlan ce sont d’anciens réservoirs de géothermie réhabilités en resto panoramique grand luxe, et pour les petites gens en une magnifique promenade avec vue à 360° sur la ville. On monte tous les trois là-haut, on a presque la vue pour nous.

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On fait le tour plusieurs fois en discutant de tout et de rien, en admirant les dernières lueurs bleutées d’un soleil flemmard qui prend le temps de se coucher, comme un enfant un peu bougon. Et entre deux avions qui atterrissent sur l’aéroport domestique de la ville, on guette le ciel, histoire de voir si les aurores ne seraient pas de sortie pour finir en beauté ce voyage. Mais non rien, le ciel est bleu marine, les étoiles peinent à se détacher. Allez on refait un tour, un dernier tour, juste pour dire…

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Retour à l’hôtel. La scène se passe dans la cuisine commune de l’auberge de jeunesse. Ordi branché sur le wi-fi, pendant ce temps l’eau des pâtes chauffe, la sauce aussi. Ca fait plaisir à tout le monde : à Sophie qui n’a pas mangé de pâtes depuis un bon moment et à nous parce que ça nous vide les stocks qu’on avait amené pour le voyage. L’eau bout, je trie les photos, je jette un œil sur les sites de prévisions d’aurores, mine de rien et là boom, indice 4 annoncé.

Ok, changement de plan. Sophie dans sa gentillesse qui la caractérise tant nous lance « Non, mais vous vous levez tôt demain matin, si vous ne voulez pas bouger, je comprends très bien ». Ca sonne un peu comme un défi pour nous, et puis bon entre dormir (un peu) et voir des aurores il ne nous faut pas plus d’une bouchée de pâtes pour prendre notre décision. On avale notre pitance, on court dans la chambre, on fait les bagages sans ordre mais avec méthode, et on laisse dehors l’essentiel, le minimum vital du chasseur d’aurores : Sac photo, trépied, lampe frontale, carte routière et puis c’est tout.

Pas question de retourner aux mêmes spots qu’hier soir. Il y a un spot que les habitants de Reykajvik connaissent bien pour observer les aurores à l’abri de la pollution lumineuse c’est Hvalfjörður, le fjord des baleines, juste avant Akranes. 47 bornes à avaler pour les lumières orangées de la ville s’éteindre.

On avale les premiers 40 kilomètres, fébriles, impatients, bouillonnants sans trop savoir ce qu’on va trouver. Parce que c’est aussi ça les aurores boréales, vous pouvez avoir toutes les prévisions du monde vous dire « Ok c’est pour ce soir » et ne rien voir pour x ou y raison. Trop de paramètres, beaucoup d’imprévus, de la chance. Les aurores ça se mérite et ça se traite avec respect. C’est même pour ça que chez certains peuples, chanter, crier ou même siffler sous les aurores ça ne se fait pas, ça porte malheur.

Coincé derrière le volant, Cécile et Sophie la tête collée aux vitres côté droit, observent, scrutent le ciel jusqu’à crier à l’unisson « Ca y est ça part, ça part ! ». C’est dur de décrire cette sensation, on se sent un peu comme les gars du film Twister. Les tripes commencent à vibrer, l’adrénaline à se diffuser, la pression monte, le cœur bat plus vite et on fonce dans la nuit noire, éteignant les phares de manière sporadique, histoire d’observer le phénomène.

La position du pilote est à la fois la plus cruelle, parce que je ne vois rien (elles venaient d’un axe est/ouest), mais c’est sur moi que repose la conduite, le spot à trouver, le petit chemin qui fera la différence. Cécile et Sophie bouillonnent, le ciel s’embrase, je vois un petit chemin de ferme qui part sur la droite, ni une ni deux je saute sur le frein, à droite toute et nous sortons tous en vitesse. Elles n’avaient pas menti. Le ciel est dingue, l’aurore prend l’intégralité du ciel, sa taille est monstrueuse, a la forme d’un volcan inversé semble avoir été toute choisie pour représenter ce pays.

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Derrière nous, au-delà d’un morceau de montagne, le départ, la base de ces aurores boréales. Tombant du ciel, telles des comètes ou des météorites chargées de pigments vert et violet, elles ondulent, passant de la traînée en un rideau qui vient onduler comme un drapeau dans le vent, au-dessus de la baie. Elles se forment face à nous pour venir mourir au dessus du fjord. Le spectacle est magique, une fois de plus.

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La lumière est si forte que les aurores se reflètent dans les vitres de la voiture. On se fait une petite photo de groupe histoire d’immortaliser l’instant, et de garder une trace de ce moment assez unique. Ce genre de spectacle devrait être vu par tous, tant il beau, mystique et poétique. Et si vous lisez des âneries sur internet, des soi-disant « vérités vraies » vous disant que les aurores ne se voient qu’en photo et qu’à l’œil nu vous ne discernez rien, oubliez et rappelez vous que l’œil nu d’un être humain distingue 75% de la lumière dégagée par une aurore. Comme le dit Jean Lilensten, directeur de recherches au CNRS et spécialiste des aurores : « Il faut d’abord éduquer ses yeux , et se convaincre que ce qu’on voit n’est pas la nuit ». On profite d’une petite accalmie pour quitter notre spot, et essayer de changer de point de vue.

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On roule sur quelques dizaines de kilomètres, sans rien trouver qui nous satisfasse, hormis un chemin flippant où au fond dort une voiture tout feux éteints. Et puis on atterrit sur un pont, au-dessus d’une rivière qui se jette dans le fjord. On se pose là, bercés par le silence, et le bruit des blocs de glace qui craquent. Au loin les lumières de Reykjavik se reflètent dans l’unique nuage qui passe dans le ciel, les aurores ont momentanément quitté le ciel, laissant place aux étoiles. Et puis ça repart.

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Sous les aurores, on se pose au milieu du pont, je prend des photos, on discute tous ensemble à voix feutrée, de tout et de rien, du peut-être futur voyage au Groenland de Sophie, de l’expatriation, de nous, de ses projets, des nôtres, on refait le monde avec les étoiles pour témoins, la voie lactée comme invitée et les aurores en bonus.

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Tandis que les aurores reprennent agrémentées d’une nouvelle couleur, le rouge, on se rend compte que c’est la première fois qu’on rejoint un ami à l’étranger. Bien qu’on se connaisse déjà c’est aussi une forme de rencontre, elle nous fait partager son quotidien ici, nous on lui apporte le réconfort de là-bas, la langue, la bouffe, et puis surtout pour une fois, on profite du spectacle à plusieurs, on le partage, on le vit ensemble, nous sortant pour un moment de cette égoïsme typique du voyageur qui vit des situations et qui a du mal à les partager à son retour.

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 C’est tellement bon, qu’on en a oublié l’avion demain mat….enfin dans quelques heures. Je prends la dernière photo à exactement 01h52 du matin, nous avons plus de 40 min de trajet retour. On s’arrache tant bien que mal au paysage, les aurores semblant prendre le même chemin que nous, on quitte le fjord des baleines des images plein la tête, conscients d’avoir vécu un moment unique, une sorte de point d’orgue de ce voyage. Un final en beauté.

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Il est 02h42 du matin lorsqu’on arrive au Bus Hostel, on fait un peu durer les choses, difficile de se dire au revoir après ça, en même temps pouvait-on faire mieux ? Pour nous la question ne se pose pas, pas question de dormir, nous avons juste 1h à tenir, ça va être dur mais c’est possible. On quitte Sophie avec un pincement au cœur, demain pour elle c’est retour au boulot dans sa ferme, de notre côté c’est retour sur Paris. Le son de nos discussions fait place à un silence assourdissant d’une ville en plein sommeil. On enchaîne café sur café, on reste dehors en pensant que le froid nous tiendra éveillés, et puis d’une certaine manière, comme ça on est sûrs de ne pas louper le car.

Étonnamment les paupières ne sont pas si lourdes, tout du moins pas pour le moment, l’adrénaline et le plaisir de la soirée vécue nous tiennent éveillés. Le bus arrive, le trajet déroule, l’attente à l’aéroport aussi et alors qu’on survole l’océan Atlantique, la fatigue gagne son combat, les yeux se ferment et on voit danser derrières nos paupières les lumières du ciel, nous rappelant cette nuit blanche qui se transforma en vert.

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