Un air mélancolique de Guéthary

Un air mélancolique de Guéthary

Au départ j’avais prévu d’écrire un papier sur Estérençuby, et cette balade qui nous mena, au mois de mai, au pied des sources de la Nive. Mais voilà en réfléchissant à ce que je voulais dire mon esprit a dévié sur la fin de cette même journée, quand à peine rassasiés, cherchant à aspirer une dernière goulée de cette air qui me remplit, on a été se nourrir des derniers rais de lumière sur les hauteurs de Guéthary. J’ai laissé la chronologie de cette journée de côté et une petite brume de mélancolie s’est mise à m’envelopper.

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Tandis que les coups de soleil me brûlaient encore la nuque, que le cagnard impressionnant rencontré du côté du col d’Arnosteguy et d’Urkulu nous chauffait encore un peu les oreilles, on a déposé la môme Maïder sur Saint-Jean’ et on a repris le chemin de la maison. Fenêtre ouverte, radio en sourdine, le bras dehors s’amusant de la force du vent, tous les clichés étaient de sortie pour profiter de cette belle fin de journée de ce début de saison. Et puis j’ai vu la lumière dans le ciel se gorger de rose, de bleu avec une lichette d’orange. Sans même me poser de question, j’ai mis le clignotant et j’ai bifurqué dans les petites rues de Guéthary avec la soudaine envie de me prendre une bonne goulée d’air marin.

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Aimer profondément le Pays Basque, c’est passer beaucoup de temps à le défendre des innombrables clichés qui l’accompagne. C’est faire comprendre que ce pays ne se résume ni à son terrorisme, ni à sa pluviométrie, ni à sa côte si « typique ». Que c’est plus compliqué que ça, plus riche, plus délicat, plus, beaucoup plus.

Guéthary est peut-être le plus gros de ces clichés, ce petit port de pêche lacustre qui existait déjà au temps des romains, qui devint plus tard un port de pêche hauturière, point de départ des grandes traversées pour aller chasser la baleine, la morue dans les eaux froides du Saint-Laurent à la Nouvelle-Écosse, puis plus tard port de sardine vivotant dans l’ombre de la puissante Saint-Jean-de-Luz. Guéthary a une histoire que l’on ne connaît pas toujours ou que l’on ne prend pas le temps de voir, trop absorbés par les longues soirées où les basses résonnent à fond jusqu’au petit matin.

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Guéthary a une histoire longue et complexe qui se fait balayer d’un grand revers de main quand arrive la haute saison. Sur sa plage minuscule poussent des gargotes servant d’arrière-plan aux blogueuses lifestyle venues de Paname ou d’ailleurs, ses bars se remplissent de V.I.P. en mal de reconnaissance, on se prend en selfie devant Ximist et Peita et on vient voir Guéthary comme on vient voir un animal au zoo. Pour prendre sa dose de clichés, pour dire j’ai vu, pour en montrer les photos aux amis, aux collègues qui viendront peut être eux aussi l’année prochaine remplir la terrasse du Café de Madrid.

Ok, c’est un peu dur comme constat, mais c’est pourquoi ce village d’à peine 1000 habitants me rend si nostalgique. Oui Guéthary est beau, oui ce village a gardé un je-ne-sais-quoi de typique du Labourd, comme si les embruns l’avait préservé de la vieillesse du temps qui passe. Quand la brise du vent du large m’y a attiré ce soir d’une journée de mai, Guéthary était entre deux eaux. Je sentais bien que la saison frappait à la porte, mais pourtant l’atmosphère qui y régnait était encore paisible. Le calme avant la tempête.

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Dans le petit jardin qui marque le début du sentier des baleines, au pied de la stèle qui rend hommage à tous ces enfants du pays disparus en mer, la petite brise était parfaite pour accompagner ce coucher de soleil presque parfait. Un couple de richissimes russes, appareil moyen format à la main au prix équivalent à une dizaine de SMIC, tentaient eux aussi à leur manière de profiter du moment. Guéthary me donne souvent l’impression que le temps s’y est arrêté, qu’elle fût faste mais qu’elle ne l’est plus autant. Les grands murs de béton de la résidence Guetharia, vestige d’un mélange d’art déco et de néo-rétro tombant en ruine année après année, semblent ne rien faire pour me contredire.

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Nous aussi à notre manière on a joué les touristes, on a déambulé dans le petit port, j’ai immortalisé les mêmes choses que tout le monde avec le sentiment qu’au fond je ne valais pas mieux que les autres, je n’avais pas à juger si durement le touriste moyen. Peut-être est-ce parce que j’avais vu Guéthary sous tous les angles, toutes les saisons, que je me permettais d’être aussi dur.

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Alors qu’un trio de trentenaires taquinait le goujon, espérant la bonne touche, la bonne prise, comme le faisait les getariar avant eux depuis des siècles et siècles, j’ai repensé à l’allure qu’avait ce village à d’autres saisons. En hiver par exemple, quand la brume enveloppe ses ruelles vides aux magasins fermés, quand le village est rendu à ses habitants, quand les tempêtes dégueulent de vagues chargées d’écume prêtes à avaler le béton des digues et que Guéthary prend alors des allures de ville fantôme qu’on aurait abandonnée comme un gobelet en plastique jeté au sol après une soirée. Toutes ces saisons où seul le sémaphore continue de clignoter, de battre la mesure, d’imprimer le rythme cardiaque de ce village endormi.

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On a continué jusqu’au bout de la jetée, je me suis fait happé par l’horizon et je me suis dit que Guéthary, pour moi l’amoureux transi de ce pays qui n’est pas le mien, tu restes pleine de mystères, pleine d’histoires encore cachées, pleine de légendes à défricher, mais bien que tu me rendes si mélancolique je ne peux m’empêcher de t’aimer.

Suggestions d’accompagnement sonore :

Little Esther – Summertime (Federal – 1951)
Le titre parle de lui même, et il faut dire que j’ai un faible pour Esther Phillips. Cette version de 1951 de ce classique de Gershwin est tellement emprunt de mélancolie qu’il me semble convenir à merveille.

33 Commentaires
  • Elsa
    Posted at 09:27h, 06 octobre Répondre

    Tout ce que j’aime ! Les couleurs, les contrastes, magnifique !

  • argone
    Posted at 09:37h, 06 octobre Répondre

    Quelle jolies vues de Guéthary …. et quel ciel !

    • retourdumonde
      Posted at 10:12h, 06 octobre Répondre

      Merci argone ! Il y a des moments fugaces dont il faut savoir profiter en effet 😉

  • bonsvoyagesetc
    Posted at 10:13h, 06 octobre Répondre

    J’adore ta manière d’écrire, c’est vraiment agréable de te lire, et tes photos sont très jolies!!

  • Christelle
    Posted at 12:02h, 06 octobre Répondre

    Sublimes photos !!! J’aime Guéthary hors saison quand il n’y a pas encore l’afflux de touriste.

  • benat
    Posted at 15:16h, 06 octobre Répondre

    Tu as vraiment un talent d’écrivain ! Bravo pour cette sensibilité qui vous caractérise !!
    A bientôt j’espère,
    Beñat

    • retourdumonde
      Posted at 16:37h, 06 octobre Répondre

      Merci beaucoup Beñat pour ce commentaire qui me fait rougir. Prochaine fois qu’on descend on essayer de se trouver un créneau pour prendre un café et se donner les dernières nouvelles ! Milesker

  • Celine
    Posted at 15:23h, 06 octobre Répondre

    Je ne connais absolument pas le pays basque mais avec tous vos beaux articles je vais finir par aller voir par moi même 😀 Vos photos sont magnifiques comme toujours ! Merci pour le partage (en ce jour pluvieux à Grenoble !)

    • retourdumonde
      Posted at 16:39h, 06 octobre Répondre

      Merci Céline ! Le Pays Basque est un joyau fragile aux multiples facettes qu’il faut prendre le temps de découvrir, d’arpenter, de décortiquer et surtout en prendre soin. Ahaha, il pleuvait à verse à Paris quand j’ai mis en ligne l’article, j’ai pensé exactement la même chose ! ^^

  • Delphine / 7h09
    Posted at 16:05h, 06 octobre Répondre

    Super article et superbes photos ! Ça donne des envie de départ…

  • Audrey
    Posted at 17:11h, 06 octobre Répondre

    Tes photos sont magnifiques. Ce ciel..<3
    Audrey Articles récents..Carnet de voyage : La Rochelle.My Profile

  • LaRoux
    Posted at 18:37h, 06 octobre Répondre

    Bordel que j’aime quand vous m’embarquez dans vos histoires, je sens le vent, j’entends les vagues, je m’y vois déjà ! Merci les gars <3

    • retourdumonde
      Posted at 15:32h, 07 octobre Répondre

      Si ça, ce n’est pas un commentaire qui vient du cœur et qui va….droit au cœur 😉

  • Melo Furtherwest
    Posted at 02:27h, 07 octobre Répondre

    Superbes photos et récit très sympa. Je ne connais pas énormément cette région, j’y suis allée une seule fois quand j’étais un peu plus jeune, du coup ça me donne envie d’y retourner. Peut être lors d’un prochain voyage en France 😉

  • Madame Maurice
    Posted at 11:10h, 07 octobre Répondre

    C’est tellement beau et apaisant Guéthary (en période creuse bien sûr ! :D) ! Le graphisme que tu as fait sur ta 1ère photo est génial ! 😉

    Madame Maurice
    http://mmemaurice.blogspot.fr

  • Céline
    Posted at 11:21h, 07 octobre Répondre

    Ton article est touchant, tu as les mots justes. Je suis une enfant du pays comme on dit, et année après année Guéthary a toujours tous ces mystères que je ne percerais certainement jamais. Une ambiance marine, mélancolique, qui te rend tout chose. Guéthary qui change de visage et m’apparait sous un autre jour quand ces grosses vagues frappe ses rochers et que les nombreux surfeurs viennent animer ce coin si calme hors saison. Encore une de ces nombreuses facettes, qui font qu’on ne se lasse jamais d’elle !
    Merci pour ce joli partage !! 🙂

    • retourdumonde
      Posted at 16:18h, 07 octobre Répondre

      Merci Céline !
      C’est toujours difficile pour moi qui ne suis justement pas un enfant du pays, de trouver les mots justes pour cette région que je connais bien, que j’arpente, que je décortique depuis tellement de temps. Guéthary à un je-ne-sais-quoi de grandeur et de modestie mélangé. 😉

  • Paul
    Posted at 11:37h, 09 octobre Répondre

    Je ne me lasse pas de venir lire vos billets ! Ils me transportent à vrai dire, et ce quelque soit la destination, proche ou lointaine ! C’est le texte qui fait tout, plus encore que les photos ! Je me répète un peu mais bon ! Merci et à bientôt !

  • Larrosari
    Posted at 12:05h, 10 octobre Répondre

    Votre blog est un plaisir. Vous avez le don, à travers vos photos, de rendre des lieux beaux. Et, c’est rare de lire des choses aussi justes. Habitants d’ici, le la côte ou de l’intérieur, on ne se reconnait pas souvent dans les reportages divers qui parlent de notre Pays, nous avons souvent l’impression d’être mal compris aussi. Et je crois que c’est pour ça que je m’y retrouve beaucoup dans votre blog ! Et puis nous même ne connaissant pas tout de l’histoire de notre Pays. Vos textes sont un régal…. merci pour ça !! Milesker.

    • retourdumonde
      Posted at 14:52h, 12 octobre Répondre

      Merci beaucoup pour votre message qui me va droit au cœur, vraiment. Je n’ai pas la prétention de faire mieux que les autres, mais j’aime à croire qu’il y a d’autres façons de raconter le Pays Basque, en évitant les clichés et en y distillant un peu d’histoire, un peu d’émotion. Votre message semble me dire que je suis sur la bonne voie. Milesker !

  • Anne
    Posted at 19:26h, 10 octobre Répondre

    Moi qui rentre tout juste d’une semaine dans les montagnes, je viens de prendre du bon embruns de l’océan dans le visage, c’est frais, c’est doux, génial !

  • Alex // HelloMonsieur
    Posted at 21:24h, 28 octobre Répondre

    Dur à croire qu’il y ait encore de nos jours beaucoup de gens qui associent le Pays Basque au terrorisme, mais la pluie c’est bien vrai! Superbes photos!

    • retourdumonde
      Posted at 20:04h, 07 novembre Répondre

      Oh si, ils en existent beaucoup (trop) qui font cette association, mais bon avec un peu d’histoire et d’explication, tout rentre souvent fans l’ordre. Merci à toi pour ton commentaire 😉

  • Chloé
    Posted at 23:28h, 22 novembre Répondre

    Le récit qui fait tellement de bien pour clôre le week-end… Tu vas me trouver bête mais je ne connais pas Guétary.. Du Pays Basque, je n’ai en tête que Saint-Jean de Luz… Probablement parce que je sais que j’aimerais l’arpenter un jour, et dans ces cas là, je me préserve de lire trop d’articles à son sujet… Je me reconnais dans l’amour de ta région d’adoption même si pour moi ma région d’adoption est ma région natale… Une région que je connais par coeur et que j’aime, quelque soit les saisons, peu fréquentée par les touristes dans mon cas ^^ Bref,quel bel article, qui sonne en moi tel une mélodie nostalgique… Et les photos qui l’accompagnent sont magnifiques !

  • retourdumonde
    Posted at 18:04h, 23 novembre Répondre

    Oh merci Chloé pour ce joli commentaire ! 😉

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